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Profession

Publié le 13 avr 2018Lecture 10 min

Le rôle des sages-femmes auprès d’une femme victime de violences. Partie 2

Mathilde DELESPINE, sage-femme
Accompagner les femmes victimes Connaître la stratégie de l’agresseur pour inventer la nôtre  Le collectif féministe contre le viol a eu l’idée d’étudier la stratégie des agresseurs et de s’y opposer systématiquement pour aider les femmes. Le premier outil d’un auteur de violence est d’isoler la victime en la privant de son entourage et de ses ressources psychiques et matérielles. Il est important de l’aider, dans notre domaine de compétence, à trouver des solutions pour rompre cet isolement. Cela peut être de lui proposer de ne pas être le seul professionnel à la suivre et de rapprocher les prochaines consultations. Les séances de préparation à la naissance et à la parentalité, une association de soutien aux victimes ou au contraire une association où elle pourra parler d’autres sujets si elle le souhaite peuvent être l’occasion pour elle de rencontrer du soutien et de se recréer un entourage social par exemple. Un autre élément de stratégie des agresseurs est la dévalorisation permanente entrainant une grave perte de l’estime de soi. À nous de la valoriser, de reconnaître son courage, ses capacités, sa résistance. L’auteur inverse systématiquement la responsabilité des actes commis et la culpabilité. Il est important pour nous, en s’appuyant sur le droit et la loi, d’affirmer que le seul responsable des violences est l’auteur et que rien ne justifie la violence. Il n’est pas nécessaire ni recommandé pour cela de porter un jugement de valeur sur l’agresseur. Ce dernier instaure un climat de peur et se montre tout puissant. Il est de notre devoir d’aider la victime à se mettre en sécurité et de condamner tout acte violent. Si un acte de violence est commis en notre présence ou sur un soignant, il ne doit jamais rester sans réponse. Enfin il assure son impunité en recrutant des alliés notamment dans l’entourage de la victime ou parmi les professionnels que nous sommes. À nous d’être vigilant et de résister à cette manipulation. Comprendre les mécanismes du psycho-traumatisme pour ne plus stigmatiser les victimes Une victime peut avoir des conduites très déroutantes pour son entourage. On retrouve principalement des addictions ainsi que des conduites à risque et mises en danger. Pour ne pas penser que ces patientes sont « folles » ou « qu’elles aiment ça » il est important de comprendre les mécanismes neurobiologiques en jeu. Lors d’un stress normal, l’amygdale cérébrale va induire une réponse émotionnelle. Elle ordonne la sécrétion, par les surrénales, d’hormones de stress : l’adrénaline et le cortisol, avec pour effet l’augmentation de la quantité d’oxygène et de glucose dans le sang. Une fois que le cortex -responsable des apprentissages et de la temporalité - a analysé la situation, il régule cette réponse émotionnelle par un rétrocontrôle négatif. Lors d’un évènement violent, la réponse émotionnelle ne peut être modulée car le cortex cérébral est sidéré. La situation ne correspond à aucun apprentissage, à aucune logique. Il y a un vrai risque vital pour l’organisme : cardio-vasculaire et neurologique. Pour l’éviter, le cerveau met en place des mécanismes de sauvegarde exceptionnels : le circuit neuronal est interrompu par la sécrétion de neuromédiateurs (drogues dures endogènes morphine-like et kétamine-like). Ceci entraîne une anesthésie physique et émotionnelle, même si les violences persistent. Cet état dissociatif donne aux victimes une impression d’irréalité, d’être spectatrices d’une scène que pourtant elles subissent. Ces mécanismes sont à l’origine de troubles psycho-traumatiques. Des troubles de la mémoire peuvent apparaître, car la mémoire émotionnelle de ces violences va rester enfermée dans l’amygdale et ne sera pas traitée par l’hippocampe. Ainsi « elle ne pourra pas devenir un souvenir autobiographique qui se raconte et dont la charge émotive se modifie avec le temps »(1). Cette mémoire traumatique peut être réactivée par tout ce qui rappelle les violences et replonge alors la victime dans le même état de détresse que lors de l’évènement initial. Pour éviter de réactiver cette mémoire traumatique, la victime a deux solutions. D’une part, les conduites d’évitement qui sont très coûteuses en énergie, très handicapantes au quotidien et qui ne sont pas toujours applicables, notamment en cas de violences intrafamiliales. D’autre part, les conduites dissociantes, qui déclenchent à nouveau la disjonction du circuit émotionnel en augmentant le niveau de stress avec pour effet initial une diminution de l’angoisse mais qui sur le long terme rechargent encore la mémoire traumatique. En plus d’être déroutantes et stigmatisantes, ces conduites entraînent une forte culpabilité de la victime alors qu’« elles sont des conséquences normales à des situations anormales, les violences »(1). Si nous comprenons ces mécanismes, nous pouvons les expliquer à nos patientes et les aider à faire des liens entre les violences et leurs symptômes. Ainsi, progressivement, les réponses émotionnelles vont s’éteindre, annulant la nécessité des conduites d’évitement et des conduites dissociantes(1). Un autre phénomène peut toucher nos patientes, plus particulièrement au cours de la grossesse. Il s’agit de la transparence psychique qui, par une perméabilité plus grande de la barrière de l’inconscient, va permettre une réorganisation. La grossesse correspond en effet à une crise maturative à l’image de la « crise d’adolescence » ayant pour effet qu’après cette période, la femme n’est plus tout à fait la même sans être pour autant tout à fait une autre. Ceci peut expliquer l’importance, au cours de la grossesse, des reviviscences et des images intrusives, notamment la nuit à travers les rêves et les cauchemars. Ces phénomènes physiologiques peuvent toutefois être très difficiles à vivre quand ce qui s’invite dans les pensées correspond à des mauvais souvenirs ou à des traumatismes. La future mère peut se culpabiliser de ne pas parvenir à être heureuse ou à chasser ses pensées négatives alors qu’elle est enceinte et pensait nager dans le bonheur. Notre rôle en tant que sage-femme est d’expliquer ces manifestations aux patientes afin d’éviter tout sentiment de solitude et toute culpabilité. De plus, l’accompagnement par un psychologue périnatal peut être nécessaire pour rassurer et soutenir une patiente déstabilisée par ce mouvement psychique. Caractéristiques d’une femme victime de violence Une femme victime n’identifie pas toujours la violence et souvent ne demande pas d’aide. Il y a une vraie nécessité de voir au-delà et d’adopter une conduite proactive. C’est un procédé délicat d’« aller-vers » sans être trop intrusif. Il est primordial de ne pas laisser la victime dans l’abandon, mais de rester dans une proposition sans en faire une obligation(2). L’idée est d’être dans un positionnement bienveillant en accueillant et encourageant sa parole par des reformulations et des verbalisations afin de mettre des mots sur ses symptômes. Cela nécessite une certaine disponibilité psychique, un mouvement d’ouverture vers la patiente qui la « confirme dans son existence ». Ceci va lui permettre d’identifier qu’elle est digne d’intérêt, car être victime c’est toujours « subir un évènement qui n’aurait pas dû arriver ». Cette subordination durant l’épisode violent provoque chez la victime un sentiment d’être « hors humanité », d’être un objet. Nos actions doivent s’inscrire dans un mouvement de réhabilitation en tant que personne humaine, actrice de sa vie. Lui permettre de verbaliser l’évènement en respectant ses limites, lui redonner la parole, notamment en lui posant des questions, sont des actions thérapeutiques qui vont à l’encontre des conséquences négatives provoquées par l’agression(2). Le fait de travailler dans l’autorisation, de lui faire sentir qu’elle a réellement le choix dans les soins que nous lui proposons, va dans le même sens. Cette sollicitude permet d’exprimer notre humanité et d’instaurer une « réciprocité dans une relation pourtant asymétrique »(3). Nous n’avons pas d’autre choix que de travailler à partir de sa parole et il n’est pas de notre rôle de faire des investigations pour connaître la vérité. À notre place, il est nécessaire de croire ce qu’elle nous révèle et de le lui dire. Il faut être vigilant à ne pas répéter l’histoire traumatique, notamment en posant un cadre. Ceci évite de lui faire revivre un sentiment d’abandon. Ce cadre correspond à la solidité et au caractère contenant que la disponibilité dans la relation à l’autre permet. Il donne les moyens à la victime de comprendre son parcours de prise en charge. Le but est de respecter ses choix et de les accompagner. Il est primordial de ne pas prendre de décision à sa place, notamment sur sa séparation, sauf en cas de danger imminent. L’idée d’une prise en charge globale est plus que jamais indispensable. En effet un tel évènement de vie non pris en charge risque de réduire à néant les efforts faits par ailleurs sur d’autres facteurs de risque de la patiente. Orienter La continuité des soins est un autre point clé pour permettre à la victime de retrouver son autonomie. L’orientation vers une personne dénommée est plus efficace pour la poursuite de la prise en charge, ainsi il est nécessaire de connaître ses relais afin de proposer à la patiente victime une orientation sécurisée et non pas lui imposer un nouveau plongeon dans l’inconnu. Lorsque nous travaillons en équipe, il est évident qu’un tel engagement doit être partagé par le plus grand nombre et de façon pluridisciplinaire. Accompagnement médico-psycho-social La concertation régulière des équipes médico-psycho-sociales est un temps indispensable pour aborder les situations des femmes particulièrement vulnérables, prendre du recul sur des situations parfois complexes et proposer à la patiente un accompagnement adapté. C’est aussi un moment privilégié pour que des professionnels de différentes structures se rencontrent et puissent mettre en place des partenariats facilitant le parcours de soin des femmes. Ainsi peuvent se rejoindre les structures hospitalières, territoriales, libérales, les unités de psychiatrie périnatales (UPP), les centres médico-psychologiques (CMP), les structures de soutien à la parentalité, de l’aide sociale à l’enfance (ASE), les centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) et bien sûr, les associations. Cette liste n’est pas exhaustive mais laisse entrevoir la possibilité d’appuis dont une femme peut bénéficier lorsqu’elle est en situation de vulnérabilité, notamment en cas de violence. Le suivi prénatal est rarement remis en question par ces patientes en difficulté, contrairement au reste de l’accompagnement psychosocial. Ainsi, au sein de ces équipes pluridisciplinaires, la sage-femme joue un rôle central car c’est elle qui peut permettre de créer une alliance thérapeutique entre les femmes et le reste de l’équipe. La Fédération Nationale Solidarité Femmes est un réseau regroupant des associations féministes engagées dans la lutte contre toutes les violences faites aux femmes. Elle gère notamment le service téléphonique national d'écoute 3919 « Violences Femmes Infos » et permet de trouver une association locale adaptée. Ces associations spécialisées dans la problématique des violences faites aux femmes sont des lieux d’accueil, d’écoute, d’accompagnement et parfois d’hébergement. Elles sont un véritable relais vers qui nous pouvons orienter nos patientes de façon complémentaire à notre accompagnement. Les unités médico-judiciaires (UMJ) sont des structures ambulatoires où sont réunis des experts de la médecine légale. Elles interviennent sur réquisition judiciaire, dans le cadre d’une enquête, donc le plus souvent après un dépôt de plainte par la victime. Dans certaines régions, ces structures ouvrent leurs consultations à des victimes n’ayant pas déposé plainte afin de pratiquer des constatations de traces ou de blessures et, dans un second temps, de leur permettre de faire valoir leurs droits. L’organisation des soins varie d’une région à l’autre mais est très souvent agencée autour de pôles de référence régionaux d’accueil et de prise en charge des victimes de violences. Accompagnement juridique Contre les violences faites aux femmes, la loi avance réellement et efficacement. Il est important de pouvoir adresser nos patientes vers des juristes compétents en la matière afin qu’elles connaissent leurs droits et qu’elles puissent les faire valoir. Le Centre national d’information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF) possède un réseau national de proximité qui propose une écoute, une information et un accompagnement des femmes indispensable et complémentaire de tout soutien médico-psycho-social. Un autre réseau, cette fois d’associations généralistes d’aide aux victimes d’infraction pénales, l’INAVEM, peut également permettre de trouver des relais juridiques intéressants. Ces associations se retrouvent partout sur le territoire et effectuent de nombreuses permanences dans les points d’accès au droit ou les maisons de la justice et du droit des collectivités. Ces réseaux permettent de se créer un carnet d’adresse local pour adresser chaque femme de façon personnalisée en fonction de ses besoins. Leur chemin sera parfois long et nous ne serons qu’une étape dans leur parcours. Gardons à l’esprit que si chaque femme est accompagnée de façon adaptée, elle peut sortir de la violence et réussir à vivre avec son histoire. Pour contrer la stratégie de l’agresseur et aider la victime à guérir, il est nécessaire de faire sortir de l’ombre ces événements et les émotions qui y sont liées. Il est thérapeutique d’en parler, de l’écrire dans le dossier avec l’accord de la femme et pour elle, de pleurer. Notre engagement à leurs côtés et notre refus de la fatalité finira par payer. Si la sollicitude vise à réduire les inégalités imposées par la vie et permet à autrui d’entrevoir l’ensemble des possibilités s’offrant à lui, alors prenons nos responsabilités en tant que sages-femmes pour défendre le droit à l’intégrité et à la dignité de chaque femme.   Les rubriques « annuaire » ou « notre réseau » de ces sites internet peuvent vous aider à connaître les structures locales les plus proches de chez vous : http://www.stop-violences-femmes.gouv.fr http://www.institutdevictimologie.fr http://www.solidaritefemmes.org http://www.infofemmes.com http://www.inavem.org

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