Recommandations et attitude pratique
Publié le 07 mai 2025Lecture 11 min
Morts fœtales : annonce, déclenchement, suivi et grossesse ultérieure
Laura Bourgault, d’après la communication du Pr Paul Guerby, gynécologue-obstétricien au CHU de Toulouse

Privilégier la voie basse, mettre en place le déclenchement, annoncer le diagnostic de morts fœtales aux parents, individualiser la surveillance lors de la grossesse ultérieure : dans une intervention fine et structurée, le Pr Paul Guerby livre à Sage-Femme Pratique son savoir et son expérience à ce sujet.
La mort fœtale est caractérisée par un arrêt spontané de l’activité cardiaque à partir de 14 SA + O j. Les différentes situations d’interruption volontaire de grossesse, les arrêts spontanés au stade embryonnaire du 1er trimestre et les fausses-couches tardives ne sont pas considérées comme des cas de morts fœtales. En France, la prévalence de ces morts fœtales répertoriées à partir d 22 SA est comprise entre 3,2 et 4,4 pour 1 000 naissances. Il n’existe pas de données entre 14 et 22 SA.
Retour à domicile, voie basse et analgésie périmédullaire
Une fois le diagnostic de mort fœtale établi, faut-il induire immédiatement la naissance ? Le retour à domicile est-il possible suite à l’annonce du diagnostic ? Des questions auxquelles a répondu le Paul Guerby, gynécologue-obstétricien au CHU de Toulouse, à l’occasion du congrès Gyn Caraïbes organisé à Le Gosier (Guadeloupe) du 21 au 24 janvier 2025.
En cas de risque de coagulation intravasculaire disséminée (CIVD), la naissance sera induite le plus précocement possible pour pouvoir prendre en charge la patiente.
En dehors des situations à risques de CIVD*, il est proposé de prendre en compte le souhait de la patiente pour déterminer le délai d’expectative. Et si elle le souhaite, après cette annonce évidemment traumatisante et violente, un retour à domicile est possible s’il est souhaité par la patiente.
Pour la voie d’accouchement, en respectant ce qui est pratiqué dans la plupart des maternités en cas de mort fœtale, il est recommandé de privilégier un accouchement par voie basse en cas d’utérus non cicatriciel. En cas d’utérus cicatriciel, un déclenchement paraît préférable à une césarienne programmée dans la très grande majorité des cas.
Reste une petite ouverture pour les rares de morts fœtales associées à des virus tri ou quadri-cicatriciels lorsque nous sommes déjà au 3ème trimestre donc très avancé : certes extrêmement faible, le risque du rupture utérine est à prendre en compte le risque. Dans tous les cas, la césarienne doit être envisagée en cas d’urgence vitale maternelle.
Si la situation le permet, une analgésie périmédullaire dès le début du déclenchement est par ailleurs indiquée, sans attendre que la douleur advienne, et ce quel que soit l’âge gestationnel. Dans les rares cas où les analgésies périmédullaires sont contre-indiquées, les morphiniques intra-veineux (rémifentanil en première intention) sont proposés en mode auto-contrôlé.
Quel mode de déclenchement ?
En cas d’utérus non cicatriciel, pour tout type de diagnostic de mort fœtale, la prescription systématique se base sur le mifépristone au minimum 200 mg. Idéalement après administration de cette mifépristone et avant de poursuivre le déclenchement, il faudrait attendre un délai de 24 heures pour que la mifépristone ait fait son effet maximale. Un temps imprescriptible en cas d’urgence comme la CIVD évidemment.
Avant 32 SA
Les préconisations se basent sur du misoprostol 430 µg toutes les 4 heures. Par définition, on ne peut donc pas dépasser les 1 400 µg par 24 heures, soit la limite maximale autorisée. Le mode d’administration peut se faire par voie vaginale par voie orale. A noter que les effets secondaires de type digestifs restent moins fréquents par voie vaginale. Et comme pour tout déclenchement, si l’on veut en diminuer la durée, la rupture artificielle des membranes est effectuée dès que possible.
En cas d’utérus cicatriciel, le mifépristone au minimum 200 mg est également indiqué le premier jour, puis le lendemain le misoprostol 200 µg (demi-dose) toutes les 4 heures par voie orale ou vaginale, avec un maximum de 600 µg par 24 heures.
Après 32 SA
Dans un 3ème trimestre bien avancé donc, en cas d’utérus non cicatriciel, les méthodes de déclenchement sont celles utilisées sur fœtus vivant ou du misoprostol 200 microg toutes les 4 heures, également par voie orale ou vaginale. En cas d’utérus cicatriciel, les méthodes de déclenchement sont celles utilisées pour des fœtus vivant selon les habitudes. Le point le plus important étant la rupture artificielle des membranes dès que possible. Dans de rares cas en effet, les échecs de mise en travail peuvent survenir dans les 24 heures après la prise de mifépristone.
Dans tous les cas, chaque situation de déclenchement est à réévaluer après 24 heures en staff.
Annonce : mots simples, écoute active et nouvel entretien
En ce qui concerne l’annonce des mauvaises nouvelles et l’accompagnement, le Pr Paul Guerby conseille de se référer au chapitre rédigé par le Dr Olivia Anselem, gynécologue-obstétricien à la maternité de Port-Royal, en lien avec l’association Spama. Ce texte permet aux soignants de se sensibiliser à cette approche. Même si ces moments resteront traumatiques, les messages passent mieux pour les parents quand c’est un professionnel formé à l’annonce qui leur expose les faits. Autant de messages, de mots associés à cette mauvaise nouvelle, qui influent sur l’intégration, la compréhension de cette réalité, et resteront gravés dans la mémoire des patientes, le couple.
En annonçant une mort fœtale, le soignant a une intention particulière, celle de s’adapter à la particularité de chaque situation. Voici quelques repères et conseils :
utiliser des mots simples sans ambiguïté
éviter les termes médicaux techniques et/ou les termes laissant place au doute
adopter une attitude empathique
Ne pas tomber dans l’excès d’empathie, ne pas ajouter votre propre peine au désarroi des parents
pratique l’écoute active lors de l’annonce afin d’apporter aux parents un soutien émotionnel
informer sur la prise en charge en salle de naissance
mettre en place un environnement paisible, confortable et sécurisé
laisser le libre choix de voir ou non l’enfant
rester prudent sur la détermination du sexe en cas de doute, ce point étant important pour le couple dans le processus de deuil. Sans compter que l’inscription sur le certificat de naissance est très compliquée à modifier en cas d’erreur
clore l’annonce et accompagner vers l’après : proposer un nouvel entretien soit quelques minutes après, le lendemain, avant la sortie de maternité
impliquer le soignant qui a annoncé la mort fœtale dans le processus de suivi : visite post-natale, consultation de synthèse
identifier les soutiens dans l’entourage
informer sur la prise en charge sans hésiter à répéter les choses : dans ces situations, trois-quarts des informations délivrées initialement vont être oubliées
Point important : le diagnostic de mort fœtale et l’annonce ne sont pas les moments où ‘on réalise une échographie plus poussée pour essayer de déterminer la cause de la mort fœtale. L’attitude est de ne pas prolonger l’examen à ce moment-là, mais de proposer de revenir quelques minutes après.
Connaître les mécanismes d’adaptation des patientes… et des soignants
En tant que soignant, il est important de connaître les mécanismes d’adaptation des femmes et des couples qui subissent une annonce de mauvaise nouvelle, traumatique, telle que l’annonce de la mort fœtale. Savoir, par exemple, qu’il existe des réactions de déni, d’isolement, de déplacement, de maîtrise, de sidération excessive…
Il est tout aussi essentiel de maîtriser les mécanismes d’adaptation du soignant chargé d’annoncer la mauvaise nouvelle. Une formation sur le deuil périnatal est souhaitable pour accompagner les professionnels dans l’acquisition des notions et attitudes décrites ci-dessus.
Autre point important : identifier dans la structure des référents connaisseurs des processus administratifs de devenir du corps, des droits sociaux, des droits au congé maternité… Ce genre de détails qui n’en sont pas et qui sont primordiaux pour les couples.
Post-partum immédiat et hospitalisation courte
Dans le post-partum immédiat, des attitudes et prescriptions sont aussi indiquées pour accompagner les femmes et les couples dans ces naissances toutes particulières.
La cabergoline sera ainsi prescrite pour éviter la montée laiteuse, particulièrement mal vécue. Cette indication a sa place, quel que soit l’âge gestationnel de la mort fœtale, après avoir discuté des effets secondaires et des rares contre-indications.
Concernant l’hospitalisation post-accouchement et la sortie à domicile, une hospitalisation courte peut être proposée si la patiente souhaite un retour à domicile rapide, en dehors des complications maternelles. Au moment de la sortie, il est important :
d’annoncer à la patiente le délai attendu pour la consultation de synthèse contenant un maximum de résultats en termes de fœtopathologie
que la patiente reparte avec une date de visite post-natale, pour s’assurer qu’il n’y ait pas eu de complications obstétricales, de saignements, de signes de rétention. A ce moment, il est aussi question d’évaluer l’état psychique de la patiente
de proposer un soutien psychologique avant le retour à domicile
d’informer la patiente et le couple de l’existence d’associations de parents, locales ou régionales, qui peuvent les accompagner dans leur deuil
Grossesse ultérieure : quelle surveillance ?
Concernant le délai optimal avant d’initier une seconde grossesse après une mort fœtale, il est important de ne pas contraindre les parents. Pour cette seconde grossesse, le suivi doit être initié par un gynécologue-obstétricien comme le prévoit la HAS, auquel est associé la sage-femme ou le médecin traitant. Le soutien psychologique doit être proposé à la patiente. Les modalités de surveillance seront fonction du contexte et de la cause de la mort fœtale. La surveillance systématique par enregistrement du RCF n’est pas indiquée dans le but de réduire la récidive de mort fœtal, même si elle peut être prescrite dans le cadre d’un soutien psychologique ou dans un contexte de réassurance.
En cas de mort fœtale inexpliquée, nous proposons de ne pas déclencher systématiquement. Ce dernier sera possible en fonction du contexte et de la demande parentale. Après 37 à 39 SA, si la situation devient invivable du fait de cet antécédent de mort fœtale, on pourra accéder à cette demande. Ce déclenchement sera aussi discuté en fonction de l’âge gestationnel, des bénéfices et des risques notamment après 39 SA.
Sur le plan médicamenteux, que nous dit la (très faible) littérature sur les grossesses menées après une mort fœtale ? Dans un premier temps, si la mort fœtale est dite inexpliquée après un bilan le plus exhaustif possible, le risque de récidive n’est pas augmenté. Dans ce cas, l’héparine ne présente aucun intérêt du fait de la iatrogénie. Pour l’aspirine, aucune donnée n’existe dans cette situation.
Pour les morts fœtales dites d’origine vasculaire (retard de croissance, prééclampsie, HRP), l’héparine n’est pas indiquée contrairement à l’aspirine qui elle sera prescrite lors de la grossesse suivante
Pour les morts fœtales associées à un syndrome des antiphospholipides (SAPL), l’héparine et l’aspirine sont indiquées
En cas de récidive de mort fœtale, aucune recommandation n’est donnée, même si la désescalade thérapeutique est souvent proposée dans ces cas-là.
Mort fœtale et grossesses gémellaires
Quelles particularité pour les grossesses gémellaires ? Il s’agit d’effectuer une évaluation rapide du co-jumeau.
En cas de grossesse bichoriale, il existe un léger sur-risque de mort fœtale du co-jumeau, probablement lié à des pathologies placentaires sur le fœtus décédé, même si les données restent plutôt rassurante sur le jumeau restant. Le but sera d’essayer de ne pas induire de prématurité.
En cas de grossesse monochoriale, le risque de décès pour le co-jumeau est important. Il est de 10 à 40% en fonction de l’âge gestationnel auquel la mort fœtale est survenue. Pour les fœtus survivants, le risque de lésions cérébrales est de 20%. Il va falloir rechercher le risque d’anémies aigues et le risque de séquelles neurologiques sur le plus long terme
En cas de grossesse monochoriale biamniotique, il est proposé de rechercher en urgence des signes d’anémie fœtale aigus à l’échographie chez le fœtus survivant. Il est proposé de ne pas réaliser de bilan d’hémostase. Une surveillance échographique hebdomadaire est proposée le premier mois, de réaliser une échographie diagnostic et une IRM au minimum 4 semaines après le diagnostic de mort fœtal, et idéalement après 30 SA pour l’IRM fœtal dans le repérage d’éventuelles signes de séquelles neurologiques. La naissance ne sera pas induite immédiatement, une décision prise en discutant de l’âge gestationnel avec le centre de compétences
En cas de grossesse bichoriale biamniotique, il est proposé de continuer le suivi échographique mensuel et de ne pas induire de prématurité chez le jumeau survivant
En cas de mort fœtale dans une grossesse gémellaire, l’évaluation du jumeau survivant doit être réalisée en urgences.
Conclusions
La naissance par voie basse doit être privilégiée pour les naissances en cas de mort fœtale
En cas d’utérus cicatriciel, le déclenchement est favorisée comparée à la césarienne programmée
Avant 32 SA, le déclenchement en cas de mort fœtale consiste en l’administration du misoprostol 430 µg toutes les 4 heures, par voie orale ou vaginale
Après 32 SA, en cas d’utérus cicatriciel, le déclenchement en cas de mort fœtale consiste en l’administration du même protocole que sur fœtus vivant ou du misoprostol 200 µg toutes les 4 heures, également par voie orale ou vaginale. En cas d’utérus cicatriciel, les méthodes de déclenchement sont celles utilisées pour des fœtus vivant selon les habitudes
La situation doit être réévalué après 24h à compter du début du déclenchement
La formation à l’annonce est essentielle pour les professionnels exposées à ces situations traumatiques vécues par les patientes et les couples
Après l’annonce d’une mort fœtale, le retour à domicile peut être organisé s’il est souhaité par la patiente
Après le déclenchement, la cabergoline doit être prescrite pour éviter la montée de lait discordante avec l’absence du bébé
Avant le retour à domicile, la patiente doit avoir été informée de sa date de visite post-natale et de sa consultation de synthèse
Le soutien psychologique doit pouvoir être proposé aux patientes et au couple
En cas de seconde grossesse après une mort fœtale, les prescriptions médicamenteuses d’héparine et d’aspirine varieront selon la détermination ou non de la cause de cette mort fœtale
La surveillance d’une grossesse ultérieure s’établit en fonction des conditions de la mort fœtale antérieure
*hématome rétroplacentaire, complications de prééclampsies sévères, sepsis sévères
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :