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Nutrition

Publié le 30 aoû 2019Lecture 10 min

Troubles du comportement alimentaire et PMA

Maurice CORCOS1,2, Véronique CAYOL3, Antoine VOYER1

Les femmes présentant un trouble des conduites alimentaires (TCA) actuel ou passé, qui, prises encore massivement dans le déni de leurs troubles, ne font pas part aux médecins de leurs difficultés (médecins qui eux-mêmes ne les évaluent guère suffisamment). Ces femmes qui enfin demandent et obtiennent, sans entretien psychologique préalable (malgré les recommandations de la haute autorité de santé), d’avoir recours à des techniques de stimulation de l’ovulation (pompes gnrh) ou autre technique d’assistance médicale à la procréation pour lever l’obstacle biologique de leur anovulation, ne reçoivent trop souvent qu’une réponse opératoire technique qui risque de conforter la dissociation, voire le clivage existant et souhaité entre corps et psyché, sexualité et procréation, qui caractérise les troubles.

La prévalence des TCA en assistance médicale à la procréation (AMP) est 5 fois plus importante que dans la population générale, tandis que l’association infertilité et TCA avérés est 2 à 4 fois plus importante que dans la population générale. Les antécédents de TCA vie entière chez les patientes consultant en AMP pour une infertilité dite « psychogène » (sans étiologie organique actuellement décelable) sont retrouvés dans 23 % des cas (16 à 44 % selon les études) contre 3 % des cas dans la population générale ; la dépression n’est pas un facteur de confusion (Étude de l’Institut Mutualiste de Montsouris(1) et de Frezinger(2)). La stimulation par pompe GnRh : très (trop) efficace Concernant les pompes GnRH, la simulation de l’ovulation est très efficace puisque le taux de grossesses menées à terme et sans complication particulière est de 92 %. D’ailleurs, tout en déniant leurs troubles, plusieurs patientes évoquent la trop grande rapidité de survenue de la grossesse sous GnRH, comme si la perte de la maîtrise corporelle et la concrétisation de la réalité du bébé à naître, venaient bousculer des processus psychiques laissés en suspens. Dans l’étude de Sophie Chrisin-Maitre(3) concernant les femmes consultant les endocrinologues pour simulation de l’ovulation par pompe à GnRH (sans qu’une véritable évaluation des troubles psychiques n’ait été faite), on retrouve des antécédents d’anorexie dans 40,5 % des cas, de boulimie dans 5,5 %, de végétarisme dans 5,5 % et de sélection alimentaire dans 52 %. Soit, au total, 100 % de TCA dans cette étude, et 95 % de TCA dans l’étude de l’Institut Mutualiste Montsouris(4). Ces données « extravagantes » montrent la façon dont les « troubles » de la fertilité engendrés par les TCA viennent interroger les nouvelles pratiques de procréation, et illustrent le questionnement sur les limites que la société entend (ou non…, laissant alors le médecin seul juge et coupable) fixer à l’utilisation de celles-ci. Ne pas confondre besoin et désir de maternité Concernant l’anorexique en demande de PMA, il ne faut pas confondre besoin et désir (désir de grossesse et désir d’enfant) et ne pas oublier un ressort à ces besoins-désirs de grossesse et de maternité : les facteurs psychologiques tant conscients qu’inconscients. De fait, si l’éclosion pubertaire est auto-avortée, c’est que la germination première n’a pas totalement eu lieu… Aussi, l’anorexique est-elle beaucoup plus en difficulté que la jeune hystérique trop séduite et qui resollicite le pouvoir désirant de l’homme en confondant excitation et amour. Si le médecin se laisse moins souvent mollir face à l’hystérique dont il redoute la passion, il ne s’autorise pas à être suffisamment ferme face à la demande d’une femme si manifestement en détresse, oubliant que la passion n’est pas moindre d’être retenue… silencieuse et froide. Chez ces patientes, la question centrale est celle de la peur du débordement. En découle, ultime défense face à cette peur du débordement pulsionnel et/ou émotionnel, matérialisé par la peur profonde quasi-délirante de grossir, toute une série de clivages entre corps et psyché, affect et représentation, et in fine… sexualité et procréation. Ainsi, peut advenir la demande d’une maternité sans sexualité, issue d’une jeune femme, toujours et à tous les égards jeune fille (mère vierge à la chair innocente et à l’âme coupable non de crimes mais de remords), donc encore dépendante de sa propre mère, et qui perpétue une histoire ancienne de troubles alimentaires, histoire qu’elle habite à son corps défendant, plutôt qu’elle ne s’approprie la sienne en devenant femme avant que mère. Le risque en est la dépression durant la grossesse et le postpartum : une femme non habitée par une présence intense, mère dont la psyché est assimilable à un terrain vague. Réactivation des vicissitudes des processus de séparation-individuation La peur de perdre le contrôle dans la rencontre sexuelle avec l’objet renvoie d’abord et avant tout à une insécurité interne, liée à une histoire infantile marquée par la dépendance et la hantise de l’abandon avec et par les objets primaires. La baisse de la libido secondaire à la dénutrition est vécue comme un soulagement par la patiente anorexique, tandis que la reprise d’un appétit libidinal nourri d’une fantasmatique sexuelle est un facteur de pronostic très favorable… mais s’accompagne d’une reprise anxieuse. D’où contrôle, maîtrise, refus, a-sexualité (a-privatif). L’apaisement de l’angoisse et la réappropriation subjective de son corps par l’adolescente au cours des soins, autorise l’acceptation de la rencontre avec l’altérité qui permet de désirer un autre désir (porté sur soi par un autre). Et l’on conçoit ainsi que l’expérience de la grossesse, vécue dans l’angoisse d’une altérité naissante, puisse réactiver les vicissitudes des processus de séparation-individuation dans l’enfance avec l’objet maternel primaire. La réalisation de ces fantasmes dans le cadre de la PMA, s’apparente alors à une véritable « fuite dans la guérison ». Et l’effondrement dépressif, ou les décompensations de la personnalité dans le post-partum rappellent aux somaticiens trop pressés que la suppression du symptôme opéré par leur traitement, sans offre soignante d’une défense psychique de substituions, affaiblit la résistance du sujet. Difficultés aussi pour l’enfant Difficultés du travail psychique chez les mères souffrant de TCA, déni des troubles et de leur impact sur l’enfant, fond alexithymique, voire mélancolique, exacerbation de l’investissement en emprise avec difficulté de différenciation, relations passionnelles avec ce « je est un autre » à la fois étranger et soi-même et qui devient donc pôle d’amour-haine…. La période sacro-sainte de la grossesse et de la maternité dans ces conditions est tout sauf simple. Les familles monoparentales réelles ou fantasmées sont un facteur de risque des plus importants pour l’émergence de difficultés – troubles –, affections psychologiques chez l’enfant, tant elles suscitent chez celui-ci le questionnement : quelle est la représentation de l’enfant dans la tête de la mère ? Dans la tête du père ? Quelle est la place de l’enfant dans le système de représentation individuel et aussi celui commun des parents ? Dans quelle histoire, celle du couple et celle trans-généraionnelle, entre-t-il ? Si la mère anorexique fait un enfant « toute seule » et développe une relation passionnelle avec sa fille en miroir plus ou moins inversé de celle qu’elle a entretenue avec sa propre mère  « Et je savais que ce lien allait me faire prendre conscience de ce lien que je n’avais déjà pas, à la base, avec ma mère », c’est de fait elle seule qui déclenche toute l’histoire. Difficile dès lors pour l’enfant de fantasmer un désir commun, voire une union charnelle du couple, à l’origine d’un clivage des imagos parentales d’où peut découler un clivage-affect représentation à l’origine du sentiment de vide et de l’alexithymie. Risque alors pour l’enfant à naître de rester dans les rails du destin des femmes-mères de cette famille, avec difficulté de séparation-individuation et TCA et d’entrer dans la ronde. Conclusion L’utilisation des techniques de PMA par ces patientes anorexiques souvent réticentes à communiquer leurs symptômes (quand elles ont les moyens psychiques de reconnaître comme tels leurs comportements) est donc incontestablement une façon de contourner la prise en charge de leur trouble psychiatrique. Les enjeux ici sont médicaux, mais aussi éthiques et politiques. On pourrait argumenter que la constatation de la co-occurrence d’une infertilité et d’un TCA devrait donner lieu au traitement de ce TCA préalablement à tout traitement symptomatique de l’infertilité : ne serait-ce que du fait de l’importance pour la mère et l’enfant de la rééquilibration nutritionnelle et de la normalisation, comportementale, de l’alimentation, qui devraient favoriser, par ailleurs, l’amélioration de la fertilité et diminuer le risque de complications. Ceci impliquerait alors qu’une demande d’AMP dans un tel cas devrait donner lieu à un report d’une telle prise en charge, sinon à un refus au moins temporaire. Pour autant, la conjonction de la réduction naturelle de la fertilité avec l’âge et les incertitudes des résultats de la prise en charge psychiatrique des TCA illustre bien la difficulté éthique de certaines situations de demande d’AMP par des femmes souffrant de TCA. Une position radicalement différente serait d’entériner officiellement le découplement, d’une part, de la pratique de l’AMP et, d’autre part, de la prise en charge d’un TCA. Dans cette logique, qui correspond au moins en parie à la clinique actuelle, mais aussi à une certaine idée aujourd’hui couramment véhiculée du « droit à l’enfant » ainsi qu’à la pression sociale pour une émancipation des patients vis-à-vis du pouvoir médical, la demande d’une femme de contourner les conséquences d’un TCA via l’AMP et d’instrumentaliser cette technique serait légitimée. Au prix des conséquences somatiques et psychiatriques pour la patiente, l’enfant, la famille au cours de la grossesse, de l’accouchement, et surtout après. Le technique de simulation ovarienne par pompe GnRH et l’AMP sont incontestablement des avancées majeures si elles ne sont pas utilisées à mauvais escient et ne versent pas dans l’instrumentalisation au service du déni des troubles de la part des patientes, et dans une pratique excessive servant le déni là-encore, mais aussi la tentation d’omnipotence avec fantasmes de réparation face à ces femmes en détresse ou les intérêts financiers, du côté des médecins. En saisissant mieux la complexité du tissage des relations entre mère et enfant dans ces conditions particulières, nous pourrons sensibiliser les professionnels à la détresse de ces femmes et mieux les guider vers des actions préventives et curatives précoces sans que ne soient remis en cause leur désir de procréer et leur capacité à être mère, mais pas dans n’importe quelle condition. Autrement, favoriser chez la patiente (et le couple) la fonction de méconnaissance du symptôme anorexie, entre refoulement pathogène et clivage du moi aux effets mutilants, contribue à laisser hors de portée d’une élaboration psychique potentielle, un pan entier de la vie affective absolument fondamental pour débuter une parentalité de qualité. Car, d’une part, le lien affectif transcorporel mère-enfant, la distillation du féminin via le maternel est le médium de l’attachement. Il n’y a pas d’attachement et donc de sécurité sans « suffisamment » d’intimité assentie et non contrôlée ; d’autre part, le féminin de la mère (dont le développement a été court-circuité ici) est ce qui sépare la mère de l’enfant… tant il est vrai que la mère pourra bientôt en le rééprouvant (censure de l’amante), redevenir femme pour un autre, l’objet d’amour avec qui elle a conçu d’avoir charnellement un enfant, le père. Faute de cette reprise érotique et dans le cadre d’une conception purement narcissique sans désir, sans sexualité, sans père, la non-séparation mère-enfant (enfant extension narcissique de la mère, part d’elle-même à laquelle elle est dévolue d’autant qu’elle l’a conçue « toute seule » pour qu’elle lui appartienne) va pérenniser la problématique de dépendance à l’origine de l’anorexie. Maternité-perpétuité car alimentée par un fantasme parthénogénétique. Cette mère demeure psychiquement, et plus ou moins physiquement, (anorexie prépubère), l’enfant de sa mère (elle laisse ainsi intacte la relation à l’objet idéalisé). Elle n’a pas connu peu ou prou la sexualité, le plaisir, la jouissance avec un homme extérieur à la famille (ce qui sépare et permet de fonder dans le champ du désir une autre famille). Son corps en tant que source de goût et de plaisir, deux affects qui dépassent l’équilibre physicochimique, reste anorexique machinique performant, et ne pourra développer une relation transcorporelle suffisamment érotique et affective, imposant peu ou prou une relation blanche, pure, avec dégoût de la chair et du plaisir. Autrement dit, faire un enfant toute seule (par besoin narcissique et/ou conformité sociale…), s’engendrer dans un « comme les autres » en faux-self, dans un autodidactisme sans nourriture extérieure autre que technique, opérée par un prestataire de service, est le terreau des troubles psychologiques de l’enfant : un quart des troubles du développement si épisode dépressif majeur maternel durant la grossesse et/ou le post-partum. Et une maternité dans ces conditions n’est pas non plus bénéfique pour la mère, tant il est vrai qu’une mère-vierge peut difficilement – à son corps défendant – être une maman : « La frigidité triomphante se condamne à la célébration de son propre néant(5)». Si l’intervention des « psy » périnatalistes est « suffisamment bonne » à ce moment charnière qu’est le vœu d’une maternité pour une patiente anorexique, et n’est pas vécue comme celle de prêtres masqués qui s’arrogeraient de dicter un nouvel ordre moral, il y a alors une opportunité majeure pour la patiente de transcender sa psychopathologie alimentaire, le « devenir mère » étant un élément central pour parer au risque morbide d’évolution chronique vers une identité anorexique… d’emprunt ou pire, de substitution.

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