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Gynécologie générale

Publié le 11 avr 2021Lecture 8 min

Des règles, mais pourquoi ?

Daniel ROTTEN, Paris
Des règles, mais pourquoi ?

La menstruation, phénomène physiologique banal ? Définition scientifique : il s’agit de la desquamation de la couche superficielle (fonctionnelle) de la muqueuse utérine à la fin de la phase lutéale du cycle ovarien, associée à un saignement extériorisé. Elle se produit lors de la régression du corps jaune et de la chute du taux de progestérone qui en découle, à la fin de chaque cycle reproductif infertile. La chute du taux de progestérone conduit à une protéolyse de la matrice extracellulaire, à la mort des cellules endométriales, et au saignement. Les pathologies qui lui sont associées sont décrites, saignements de trop grande abondance et douleurs.

Au-delà de l’aspect strictement médical, les préoccupations autour de la santé menstruelle se développent : accès à des produits menstruels propres, en particulier chez les femmes disposant de ressources économiques limitées ; campagnes d’information et de prévention autour de la stigmatisation des règles dans les sociétés où les attitudes sont demeurées archaïques à cet égard. Mais reste une question de fond : pourquoi des règles ? La menstruation n’est en rien indispensable à la reproduction. Le phénomène est d’ailleurs exceptionnel au sein du règne animal. Même parmi les mammifères placentaires, animaux dont la reproduction est la plus proche de la nôtre, presque tous s’en dispensent. Si bien qu’on est naturellement conduit à poser une question : les règles confèrent-elles un avantage évolutif, et si oui, lequel ? Dans le cas contraire, si on pousse le questionnement, à quoi servent les règles ? Distribution phylogénétique Le phénomène de la menstruation est rare au sein de l’arbre évolutif. Il n’est largement distribué que chez les primates supérieurs : humains et grands singes (singes de l’Ancien Monde). Chez les singes du Nouveau Monde, seules certaines espèces ont des menstruations. En dehors des primates, on trouve également quelques animaux menstrués à trois emplacements épars, et sans relation entre eux, de l’arbre phylogénétique : certaines chauves-souris, la musaraigne éléphant, la souris épineuse. Le phénomène de la menstruation est à distinguer des saignements vaginaux observés chez la chienne. Ils sont contemporains du proestrus, donc d’une imprégnation estrogénique élevée. Il s’agit d’écoulements vulvaires sanguinolents provoqués par la congestion de la muqueuse vaginale (extravasation des hématies à travers la muqueuse congestionnée). On attend de l’apparition d’un trait évolutif qu’il se traduise par un avantage sélectif. Or l’existence de règles ne semble présenter aucun avantage adaptatif. Deux bénéfices putatifs ont été avancés. Le premier est la protection contre des pathogènes apportés par le sperme grâce au renouvellement régulier de la muqueuse. Le deuxième concerne le renouvellement régulier de la muqueuse utérine : il serait moins énergivore que le maintien de l’endomètre dans un état actif permanent dans l’attente de l’implantation embryonnaire. Ces deux hypothèses ont tour à tour été expérimentalement invalidées. La menstruation est au contraire coûteuse aux femelles. Elle est responsable de perte sanguine — donc de déficit énergétique —, et d’incapacitation. Alors, serait-on en présence d’un cul-de-sac biologique, comme la nature en produit parfois ? Il faut avouer que ce serait vexant pour les primates supérieurs. Le fait que le phénomène de la menstruation soit observé à des localisations très éparses de l’arbre phylogénique n’évoque pas l’apparition chez un ancêtre commun, mais une survenue parallèle et indépendante. Ce phénomène, dit de convergence évolutive, plaide cependant pour que cette apparition corresponde à un avantage évolutif pour les espèces qui présentent le trait. De fait, d’après l’analyse de Günter Wagner(1), les règles sont bien associées à un avantage adaptatif, mais ce n’est pas l’apparition des menstruations en soi qui le constitue. Le phénomène essentiel est l’évolution de la préparation de l’endomètre à l’implantation du blastocyste. L’apparition des règles n’en est que la conséquence, le sous-produit visible en quelque sorte. Réaction déciduale Le cycle des espèces non menstruées est appelé estrien. Au cours du cycle estrien, la muqueuse utérine croit pendant la phase folliculaire (appelée proestrus). Survient alors l’ovulation, ou œstrus, qui s’accompagne de sécrétion de progestérone et de lutéinisation de l’endomètre. La transformation de l’endomètre lutéal pour le rendre apte à l’implantation du blastocyste puis au développement de l’embryon est appelée réaction déciduale. Chez les espèces à cycle estrien, ce phénomène nécessite le contact d’un blastocyste. En l’absence de fécondation, on assiste à la régression progressive de l’endomètre lutéal. Celle-ci ne se manifeste par aucun signe extérieur. Les transformations qui se produisent lors de la décidualisation sont synthétisées dans l’encadré 1. Le phénomène essentiel est une véritable reprogrammation génétique des fibroblastes du stroma endométrial et leur transformation en cellules déciduales. La décidualisation permet d’obtenir un équilibre entre invasion trophoblastique et résistance des issus maternels à l’invasion (encadré 2). Décidualisation spontanée Chez les primates supérieurs, on assiste à un changement évolutif majeur : la réaction déciduale ne nécessite pas la présence du conceptus. Elle se produit à chaque cycle, sous la seule influence de la progestérone maternelle. On l’observe après environ une semaine de vie du corps jaune, indépendamment donc, et préalablement à toute fécondation éventuelle. La décidualisation est alors dite « spontanée », par opposition à la réacion déciduale « induite » par le conceptus des animaux à cycle estrien. La décidualisation commence autour des artères spiralées. Comme précédemment, en l’absence d’implantation, la lutéolyse se produit. Au niveau de l’endomètre décidualisé, la chute du taux de progestérone déclenche l’apoptose des cellules stromales transformées, la diminution de sécrétion des facteurs hémostatiques, et le saignement menstruel. Un nouveau cycle ovarien peut recommencer. Le phénomène évolutif nouveau est donc le découplage entre nécessité de la présence d’un embryon au contact de la muqueuse et décidualisation de l’endomètre. La survenue de la menstruation n’est que la traduction visible de l’apparition de la décidualisation spontanée. Avantages conférés par la décidualisation spontanée À la question « pourquoi des règles ? », se substitue donc celle de savoir en quoi l’autonomisation de la réaction de décidualisation vis-à-vis de la présence de l’embryon pourrait constituer un avantage évolutif. Deux hypothèses ont été avancées. Sélection négative des blastocystes non viables Selon cette hypothèse, les cellules déciduales différenciées auraient la propriété d’évaluer la vitalité de l’embryon lors de son arrivée dans l’utérus, avant qu’il s’implante. Elles réagiraient par une réaction de stress lorsqu’il est de mauvaise qualité. Cela permettrait de ne pas poursuivre la gestation dans ces cas, et donc de ne pas investir de ressources inutiles pour démarrer une grossesse qui n’arrivera pas à son terme. Cette hypothèse a été mise en rapport avec un taux d’avortements précoces relativement élevé chez les espèces à décidualisation spontanée. Également, l’élimination précoce d’un conceptus déficient permet à la femelle de redémarrer une nouvelle gestation plus rapidement. Cette économie est importante pour des espèces dont l’effectif de chaque portée est limité, généralement à un, parfois deux petits. Cependant il est clair que cette sélectivité est d’une efficacité limitée, puisque des embryons porteurs d’anomalies chromosomiques majeures poursuivent leur développement. Meilleure préparation de l’utérus à la gestation La décidualisation préalable à l’implantation permettrait, par un préconditionnement de l’endomètre, une invasion trophoblastique de meilleure qualité, avec une reconnaissance plus précoce de l’allogreffe fœtale. Symétriquement, la décidualisation préalable à l’implantation permettrait une protection plus précoce et plus efficace contre l’invasion trophoblastique des issus maternels. Décidualisation et limitation de l’invasion trophoblastique La gestation est le lieu d’un conflit d’intérêts entre mère et fœtus (tableau). D’un point de vue évolutif, on peut considérer que le fœtus est égoïste. Il doit obtenir un maximum de transferts à son profit (nutriments, énergie). On observe effectivement que l’évolution s’accompagne de placentations de plus en plus invasives. Chez les hommes et les grands singes, la placentation est hémochoriale, ce qui correspond au degré d’invasivité le plus élevé. Les cellules du trophoblaste extravilleux effondrent l’endothélium utérin et envahissent le stroma endométrial pour aboutir à une nidation intra-endométriale (implantation interstitielle). Les cellules du trophoblaste extravilleux détruisent la musculeuse de la paroi des artères spiralées maternelles. La paroi vasculaire est remplacée par un pseudoépithélium d’origine fœtale. Les artères spiralées deviennent des vaisseaux à basse résistance et à haut débit. Les cellules fœtales seront au contact direct du sang maternel, ce qui permettra les meilleurs échanges mère-fœtus. La mère de son côté a d’autres impératifs. Elle doit prendre en compte le développement de la gestation actuelle et préserver sa possibilité de gestations futures pour continuer à diffuser ses propres gènes. Pour cela, l’invasivité du placenta doit être contenue. C’est l’un des rôles de la transformation déciduale de l’endomètre. La décidualisation est protectrice vis-à-vis de l’invasion par le tissu trophoblastique. Normalement, l’invasion se développe dans la couche spongieuse de l’endomètre et ne doit pas dépasser le tiers interne du myomètre. Au total, la décidualisation préalable à l’arrivée du blastocyste dans l’utérus permettrait d’offrir à celui-ci des conditions d’accueil optimisées : invasivité trophoblasique maximale pour une résistance endométriale adaptée. On trouve une illustration du conflit d’intérêts mère-fœtus dans l’analyse des gènes soumis à empreinte génomique parentale (tableau). La plupart des gènes soumis à empreinte génomique parentale, comme les gènes de l’insuline, de l’IGF-2 et son récepteur, sont impliqués dans la croissance placentaire et fœtale. Les gènes d’origine paternelle stimulent l’invasivité trophoblastique et la croissance fœtale et placentaire. Les allèles maternels diminuent la croissance placentaire et fœtale. La plupart des gènes impliqués dans la croissance placentaire et fœtale sont d’origine paternelle. Assimilation génétique On observe donc le passage d’une décidualisation induite par une cause environnementale pariculière — l’arrivée d’un blastocyste au contact de l’endomètre lutéinisé —, à une décidualisation qui se produit spontanément, car elle est désormais encodée dans le génome. Du point de vue évolutif, on rencontre ce phénomène, appelé assimilation génétique, quand il est important de stabiliser un trait évolutif nouveau et bénéficiaire à la lignée. En l’occurrence, l’avantage évolutif d’une meilleure préparation de l’utérus à l’arrivée du conceptus a été intégré comme supérieur à l’inconvénient de la survenue des menstruations. Parmi les différentes voies de signalisation impliquées dans la décidualisation, l’une des plus importantes est celle de l’activation de la voie de l’AMPc protéine kinase A dépendante (figure). C’est cette voie qui aurait fait l’objet de l’assimilation génétique.

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