Publié le 07 mai 2025Lecture 7 min
Prévention de l’allo-immunisation anti-HR1 : que disent les recommandations du CNGOF 2024 ?
Laura Bourgault, d’après la communication du Pr Charles Garabedian, gynécologue-obstétricien au CHU de Lille

Que disent les recommandations de juin 2024 du CNGOF sur la prévention de l’allo-immunisation anti-HR1 au 1er trimestre de la grossesse ? Faisons le point sur ces mesures rendant non systématique la prévention de l’alloimmunisation, dans la même mouvance que l’évolution internationale abandonnant cette prophylaxie avant 12 SA.
L’immunisation anti-HR1 survient lorsque le système immunitaire maternel entre en contact avec l’antigène RH1 porté par les hématies fœtales passées dans la circulation maternelle. Le but des immunoglobulines anti-D est d’éviter l’immunisation maternelle. Des points rappelés par le Pr Charles Garabedian, gynécologue-obstétricien au CHU de Lille, lors du congrès Gyn Caraïbes organisé à Le Gosier (Guadeloupe) du 21 au 24 janvier 2025.
Une prévention non systématique au 1er trimestre
Les précédentes recommandations du CNGOF datant de 2005 sur la prévention de l’allo-immunisation rhésus-D foeto-maternelle se basaient sur l’injection d'immunoglobulines anti-D au premier trimestre en cas de situation jugée à risque. Au 1er trimestre de la grossesse, par ailleurs associé à un bas risque de passage d’hématies fœtales, ces situations jugées à risque relèvent de :
Toute fausse-couche spontanée ou menace de FCS
Toute interruption médicale de grossesse (IVG ou IMG) , quel que soit le terme et la méthode utilisée
Une grossesse môlaire
Une grossesse extra-utérine (GEU)
Des métrorragies
Une choriocentèse (biopsie de villosités choriales), amniocentèse
Une réduction embryonnaire
Un traumatisme abdominal
Un cerclage cervical
Les recommandations sur cette prévention ont évolué dans de nombreux pays du monde : en France les indications d’injection de ce médicament ont été réduites à partir de 2017. Au niveau international, l’OMS ne recommande plus cette prévention systématique en cas d’IVG, comme l’ont fait les Anglais en 2022. Idem en Hollande pour les IVG pratiquées avant 7 SA, ou en cas de fausse-couche médicamenteuse avant 10 SA.
Ces anciennes recommandations se basaient sur des données pauvres et anciennes, très hétérogènes obtenues auprès d’effectifs faibles et des biais importants, avec donc une qualité de preuve très basse et aucune efficacité de cette prévention.
Les nouvelles recommandations avant 12 SA
Les recommandations de juin 2024 se basent désormais sur une prévention non systématique au 1er trimestre. En revanche, ces nouvelles recommandations ne remettent pas en question les anciennes de 2005 hors 1er trimestre. Le génotype fœtal reste en effet hors champ puisque les résultats définitifs ne peuvent être obtenus avant 15 SA.
Mais sur la base de quels critères l’intérêt des immunoglobulines a-t-il été réévalué au premier trimestre de la grossesse ? La méthodologie basée sur les questions PICO pour :
Population : chez une patiente RH1 négatif, quand le géniteur est RH1 positif inconnu, en cas d’IVG, de grossesse arrêtée, de FCS, de GEU ou de métrorragies, avant 12 SA
Intervention : l’injection d’immunoglobulines anti-D
Comparaison : l’absence d’injection d'immunoglobulines anti-D
Outcome : le risque d’allo-immunisation est-il réduit ?
Pas d’augmentation des hématies fœtales dans le sang maternel
Mais existe-t-il un intérêt à la prophylaxie dans la population générale ? Une étude observationnelle comparative en population, publiée dans Contraception, compare le Canada et les Hollandais. Au Canada, les immunoglobulines pour les IVG sont systématiques et pour les grossesses arrêtées. Aux Pays-Bas en revanche, cette pratique n’entre pas dans les recommandations pour les IVG inférieures à 7 SA et les grossesses arrêtées avant 10 SA. Dans ces deux pays, toutes les données ont été observées entre 2006 et 2015 pour regarder s’il y avait plus ou moins d’alloimmunisation dans l’un des deux pays, en fonction de politique différente de prévention au 1er trimestre. Résultat, la prévalence était la même dans les deux pays : 4,2 pour 1 000 au Canada et 4 pour 1 000 aux Pays-Bas, malgré les différences de prévention et quelques biais évidemment dans la cotation des populations.
Une étude multicentrique et observationnelle Induced Abortion and the Risk of Rh Sensitization s’est concentrée sur le passage d’hématies fœtales (HF) dans la circulation maternelle, auprès de patientes ayant eu une IVG médicale ou chirurgicale avant 12 SA. Elle a été menée entre 2019 et 2022 et publiée dans le JAMA en septembre 2023. La question qui s’est posée : la pratique d’une IVG médicamenteuse ou chirurgicale augmente-t-elle le risque d’hématies qui favoriserait l’alloimmunisation ? Auquel cas la prévention de cette même alloimmunisation serait intéressante. Une détection et une quantification des HF par cytométrie en flux ont été modifiées, avant et après la procédure. Au total, 113 patientes avec IVG médicamenteuses sous 1er protocole de cytométrie ont été incluses et 206 patientes avec le 2nd protocole. Dans le second groupe, 187 patientes avec IVG chirurgicales ont été incluses, bénéficiant elles du 2nd protocole de cytométrie exclusivement. Le seuil était de 125 hématies fœtales. Un seuil de positivité d’hématies fœtales dans la circulation déjà atteint par 3 patientes avant l’IVG : dans ces situations, la prévention de l’alloimmunisation survient trop tardivement. Cette étude nous montre donc que lorsque l’on réalise une IVG, il n’y a pas d’augmentation des hématies fœtales dans le sang maternel, que la technique ait été médicamenteuse ou chirurgicale. Cette étude pouvait être extrapolée à la grossesse arrêtée ou fausse-couche, sachant que moins d’hématies fœtales existent dans ce contexte.
Autre point : les métrorragies du 1er trimestre sont connues pour être associées à un risque d’alloimmunisation. Mais ces points reposent des connaissances non robustes. Nous nous sommes rendus compte de méthodologies complètement disparates dans la littérature étudiant ces points.
L’extrapolation de cette étude du JAMA, validée pour les IVG et les fausses-couches, reste plus compliquée pour la GEU, du fait d’une physiopathologie différente. Le risque d’hématies fœtales est en effet plus augmenté du fait de l’étanchéité moindre dans la paroi tubaire comparée à celle du milieu utérin. Un point d’interrogation subsiste en effet sur le fait qu’il y ait plus de grossesse dans la cavité péritonéale donc un peu plus de risque d’alloimmunisation.
Quelle population est concernée ?
Pour rappel, le Rhophylac® est un médicament dérivé du sang issu de donneurs sains, par ailleurs hyperimmunisés rémunérés pour permettre la récupération de toutes ces immunoglobulines. Médicament sur lequel nous disposons aujourd’hui de suffisamment de recul pour confirmer un faible risque allergique, selon des études françaises menées à grande échelle. Les risques associés à ces injections, s’ils existent, restent très rares.
Quelle population est concernée par ces grossesses arrêtées et métrorragies, dont les données sont plus difficiles à recueillir contrairement à celles des 61 580 IVG par an ? A ce sujet, nous savons que les métrorragies du 1er trimestre concernent 30 000 patientes par an, les GEU sont au nombre de 2 400 par an. Chaque année, un nombre important de femmes est donc exposé à un traitement préventif pour lequel on ne dispose aujourd’hui d’aucune preuve d’efficacité.
Trois nouvelles recommandations
Voici le contenu des trois recommandations édictées en juin 2024 par le CNGOF :
Ne pas administrer de Rhophylac® avant 12 SA dans le but de réduire le risque d’alloimmunisation en cas d’IVG, de grossesse arrêtée, de fausse-couche
Ne pas administrer d’immunoglobulines anti-D avant 12 SA dans le but de réduire le risque d’alloimmunisation en cas de métrorragies sur une grossesse évolutive
En revanche, pour la GEU, nous ne pouvons pas statuer sur cette injection de Rhophylac® au regard de la littérature sur cet intérêt
Ce qui ne change pas comparé aux anciennes recommandations du CNGOF :
Les indications au-delà de 12 SA en cas de situation à risque
Le génotype foetal
Avant l’administration du Rhophylac® : s’assurer que la recherche des agglutinines irrégulières (RAI) est bien négative
Après l’administration du Rhophylac®
Le tracé de la date d’injection et la dose administrée, informer la patiente et assurer la traçabilité auprès du pharmacien (statut de médicament dérivé du plasma)
La transmission au laboratoire de biologie médicale en charge des analyses immuno-hématologies (IH), (dont la RAI) les renseignements cliniques suivants : notion de grossesse, date de début de grossesse ou date présumée du terme de la grossesse, lieu présumé d’accouchement (maternité)
L'administration éventuelle de Rhophylac® et si oui, date d’injection et dose d’administration
En conclusion :
Aucune preuve de l’efficacité du Rhophylac® au 1er trimestre n’existe dans la prévention de l’alloimmunisation
Les seuls résultats obtenus sont issus d’études anciennes de très mauvaise qualité, en cas d’IVG, de fausses-couches, de grossesses arrêtées avant 12 SA
En population générale, l’étude comparant le Canada et la Hollande est rassurante dans le sens de ne pas faire de prophylaxie systématique sur le risque d’immunisation au 1er trimestre
Selon l’étude du JAMA, il n’y pas d’augmentation des hématies fœtales en cas d’IVG médicamenteuse ou chirurgicale
Le risque lié à l’injection du Rhophylac® est faible mais non nul, et la population concernée importante
Le CNGOF a édicté trois nouvelles recommandations en 2024 rendant non systématique la prévention de l’alloimmunisation, dans la même mouvance que l’évolution internationale abandonnant cette prophylaxie au 1er trimestre de la grossesse
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