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Médicament

Publié le 26 fév 2018Lecture 5 min

Le retrait du Cytotec® en mars 2018 suscite interrogations et craintes

Aurélie HAROCHE

Paris, le jeudi 19 octobre 2017 – Le quotidien Le Parisien révèle que les laboratoires Pfizer retireront du marché français le Cytotec® (misoprostol), médicament indiqué selon son autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le traitement de l’ulcère gastrique ou duodénal évolutif est également largement utilisé hors AMM en gynécologie. L’Agence nationale de sécurité du médicament (AMM) a confirmé que le médicament ne serait plus disponible en France à partir du 1er mars.

Un produit largement reconnu en obstétrique L’efficacité en obstétrique du misoprostol, une prostaglandine E1, a été mise en évidence très rapidement après l’arrivée sur le marché de Cytotec® en 1986. Ainsi, en 1992, une lettre parue dans le Lancet rapportait des exemples fréquents d’emploi de la molécule pour déclencher des accouchements. Le traitement est notamment plébiscité dans les pays en voie de développement (en raison notamment de son prix et de sa galénique), mais est également utilisé dans les états riches. En Suisse, une enquête menée en 2007 révélait que 78 % des obstétriciens y avaient recours lors du déclenchement de l'accouchement. En France, le Collège national des gynécologues obstétriciens français signalait dans des recommandations publiées en 2011 qu’il s’agissait d’un « moyen efficace et peu onéreux pour déclencher le travail, notamment sur col très défavorable». Aux États-Unis, le collège américain des gynécologues a adopté une position similaire. Une piqûre de rappel mal ressentie Néanmoins, utilisé pour le déclenchement de l’accouchement, le misoprostol n’est pas sans risque de complications. Il est d’ailleurs recommandé instamment aux praticiens d’éviter son recours en cas d’utérus cicatriciel. Cette précaution n’a pas empêché la survenue d’effets secondaires graves : ruptures utérines et anomalies du rythme cardiaque fœtal. Face à cette situation et compte tenu de l’existence d’autres méthodes pour déclencher l’accouchement, l’ANSM a, à plusieurs reprises, mis en garde contre ce "détournement" du médicament. En 2013, l’ANSM avait notamment signalé qu’il n’existait pas de « données de sécurité d’emploi qui présagent d’un rapport bénéfice / risque favorable du Cytotec® » dans cette indication. La piqûre de rappel avait déplu aux gynécologues obstétriciens, qui y avaient lu une méconnaissance de la réalité des pratiques. Ces derniers avaient notamment souligné la nécessité pour les équipes de prescrire hors AMM en raison de la pauvreté de la pharmacopée en obstétrique. Certains avaient également fait remarquer que les risques décrits existent avec d’autres méthodes de déclenchement. Un recours très marginal en France en 2016 Cependant, ces alertes répétées et l’action de nombreuses associations dénonçant les douleurs induites par le Cytotec® et œuvrant pour une prise en charge différente de la naissance accordant une plus large place à l’information des patientes (l’usage du misoprostol est certainement régulièrement fait sans consentement) ont probablement contribué à un recul de l’utilisation du traitement. Déjà, dans nos colonnes en 2013, le professeur Christophe Vayssière (responsable du service de diagnostic anténatal du CHU de Toulouse) indiquait que le Cytotec® n’était utilisé « que pour les déclenchements avec indication médicale ». Les chiffres très récents de l’enquête périnatale pour l’année 2016 signalent par ailleurs qu’en cas de déclenchement, si une maturation cervicale est préférée à l’ocytocine seule, ce qui est le cas pour 61,9 % des déclenchements, le misoprostol n’est utilisé que dans 1,9 % des cas (contre 90 % pour le gel de prostaglandines autorisé [Propess®]). A noter que cette enquête ne disposait pas de données sur l'utilisation du misoprostol dans cette "indication" en 2010. Cette utilisation (actuelle) très minoritaire est donc éloignée d’une généralisation que pourraient laisser croire certains médias aujourd’hui. Un accès aux soins menacé ? Au-delà, les spécialistes espèrent que le retrait du Cytotec® n’entraînera aucune difficulté d’accès aux soins pour les femmes, notamment dans le cas d’interruption volontaire de grossesse (IVG). « Il est hors de question qu’il y ait une diminution de l’accès pour les patientes à l’IVG médicamenteuse ou au déclenchement » confirme dans les colonnes du Parisien, le docteur Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale adjointe de l’ANSM.  Pourtant, les délais pourraient être courts pour que des produits de remplacement plus sûrs (grâce notamment à un dosage plus précis) soient mis sur le marché, tel un médicament des laboratoires danois Azanta, en cours d’évaluation. Une annonce contre-productive ? Cette affaire réveillera une nouvelle fois la question de la liberté des praticiens à prescrire hors AMM,  liberté essentielle en gynécologie, ont souvent rappelé les spécialistes. Celle-ci cependant ne semble pas en péril si l’on veut bien comprendre ainsi la formule a priori paradoxale du docteur Christelle Ratignier-Carbonneil : « Nous ne pouvons pas interdire quelque chose qui n’est pas autorisé ». Il est sûr également que le retrait du Cytotec® sera considéré comme une avancée par ceux qui dénonçaient son recours sans information et recueil du consentement des patientes. Cependant, la suspension du médicament ne contribuera-t-elle pas à conforter, indument, les suspicions des patientes ? Ne sommes-nous pas en effet une nouvelle fois face à une réaction d’abord induite par des raisons judiciaires et médiatiques plus que par des motifs médicaux. Il est en effet probable que le choix de Pfizer (qui n’a jamais demandé d’AMM gynécologique*) soit lié à la petite taille du marché en France et à des craintes de nouvelles procédures judiciaires, d’autant plus qu’a priori, pour l’heure, la suspension ne concerne que notre pays. Le retrait du misoprostol dans l’ensemble du monde représenterait d’ailleurs un enjeu de santé publique crucial, puisqu’il s’agit d’un médicament essentiel aux yeux de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en cas de fausse couche précoce et pour réaliser des IVG. Concernant l’ambiguïté éventuelle du message, Christophe Vayssière signalait déjà en 2013 dans nos colonnes : « On s’inquiétera (…) de l’impact que peut représenter ce type de décision intempestive sur ces milliers de femmes enceintes ou en âge de procréer ? Comment peuvent-elles avoir du recul sur ce type d’annonce (…) ? ». La question reste entière. *Une AMM gynécologique avait bien été déposée par le laboratoire ayant originellement commercialisé le médicament, Searle, mais qui s’était heurtée aux Etats-Unis aux lobbys anti-IVG.

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