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Médecine fœtale et Foetus

Publié le 28 fév 2019Lecture 9 min

Quand le stress fœtal hypothèque l’avenir

Interview de Marie-Aline Charles, Paris

Né au Royaume-Uni à la fin des années 1980, le concept d’origine développementale des maladies (DOHaD) a pris de l’ampleur dans les années 1990. Après avoir traversé le Channel avec retard, une association française SF-DOHaD a été créée le 24 janvier 2012. À l’occasion de son 4e colloque national qui s’est tenu les 5 et 6 octobre, Pédiatrie Pratique a rencontré Marie-Aline Charles, épidémiologiste, directrice de recherche à l’Inserm, présidente de SF-DOHaD et responsable scientifique de la cohorte Elfe.

Pédiatrie Pratique – Pouvez-vous nous donner une définition du DOHaD, origine développementale des maladies ? Marie-Aline Charles – L’origine développementale des maladies est un concept selon lequel des expositions précoces pendant les phases les plus rapides du développement peuvent altérer ce développement et engendrer des prédispositions à des maladies dont certaines ne s’exprimeront qu’à l’âge adulte. Pédiatrie Pratique – S’agit-il aujourd’hui d’une hypothèse du domaine de recherche ou d’un fait avéré ? M.-A. Charles – C’est aujourd’hui plus qu’une hypothèse, car cela a été démontré à la fois par des observations épidémiologiques dans les populations humaines et par de nombreuses expérimentations animales. Ce phénomène est très courant dans l’ensemble du monde vivant, y compris chez les végétaux. Enfin, l’épigénétique a prouvé que des mécanismes biologiques peuvent expliquer ces observations. On peut donc considérer que cette hypothèse est démontrée. Pédiatrie Pratique – Quelles sont les pathologies concernées par le DOHaD et quelles sont celles qui ont été le plus étudiées ? M.-A. Charles – Beaucoup de pathologies sont concernées car le développement intéresse l’ensemble de nos organes. Ainsi, des travaux ont documenté une origine développementale pour les maladies cardio-métaboliques (diabète, hypertension artérielle, maladies cardiovasculaires), les pathologies respiratoires (notamment asthme) ou immunologiques, les troubles mentaux, et même la sarcopénie, l’ostéoporose, des maladies survenant à un âge avancé. On sait que la réactivité au stress est aussi influencée par des expositions précoces, et notamment par le stress maternel. Enfin, il existe aussi des arguments pour certains cancers. Pédiatrie Pratique – Quels sont les mécanismes biologiques sur lesquels repose le DOHaD ? M.-A. Charles – Plusieurs types de mécanismes sont à l’oeuvre à différents niveaux de l’organisme. Les premières observations ont concerné l’exposition à la malnutrition au cours du développement*. Si un fœtus est mal nourri, son développement se modifie de façon à privilégier certains organes, en particulier le cerveau, au détriment d’autres. Une fois le développement des organes achevé, ces altérations risquent d’être fixées. Le pancréas et le rein ayant un développement essentiellement prénatal, il sera très difficile de récupérer des cellules fonctionnelles après la naissance. Ainsi, une exposition in utero du pancréas à la sous-alimentation peut expliquer une vulnérabilité au diabète de type 2 à l’âge adulte. Pour ce qui concerne le cerveau, il existe des phases d’établissement de connexions nerveuses qui, si elles sont perturbées, peuvent retentir sur les mécanismes neuroendocriniens, la régulation de la balance énergétique et de l’appétit. D’autres perturbations peuvent survenir à l’échelon cellulaire, avec une réponse moindre à certains stimulus et une dysfonction de certaines voies métaboliques. Au niveau moléculaire, ces mécanismes passent par des processus épigénétiques. L’épigénétique est un mécanisme fondamental qui régule le développement embryonnaire à travers l’expression de gènes à certaines phases puis leur répression. Or, ces mécanismes sont sensibles à certains stimulus et peuvent donc être perturbés par l’environnement. Pédiatrie Pratique – Existe-t'il au cours de la grossesse des moments où le fœtus est plus sensible aux stress environnementaux ? M.-A. Charles – Oui, du fait que le rythme de développement n’est pas le même pour tous nos organes, que cela soit in utero ou dans les premières années de vie. Le problème dans l’espèce humaine est que le plus souvent, ces expositions surviennent pendant toute la grossesse. Il est plus facile de déterminer les moments de susceptibilité en expérimentation animale. Des travaux portent maintenant sur les périodes préconceptionnelles. Avant l’implantation utérine, les ressources dont dispose l’embryon pour son développement sont celles apportées par l’ovocyte et, dans une moindre mesure, par le spermatozoïde et par l’environnement tubaire. Il semble qu’au moment de la gamétogenèse, l’état nutritionnel de la mère, mais aussi certains facteurs paternels, puissent modifier l’épigénétique des gamètes et ainsi altérer les étapes très précoces du développement. Pédiatrie Pratique – Les marques épigénétiques acquises in utero peuvent-elles se transmettre aux générations suivantes ? M.-A. Charles – Chez l’homme, on sait que l’exposition in utero atteint non seulement les cellules somatiques, mais aussi les cellules germinales. On a montré que l’exposition d’une femme peut retentir sur les deux générations suivantes. Chez l’animal, une persistance de marques épigénétiques a été prouvée jusqu’à la troisième génération voire plus, mais nous n’en avons pas de preuve formelle chez l’homme. Pédiatrie Pratique – Avez-vous retenu un thème particulier pour votre congrès cet année ? M.-A. Charles – Non, nous privilégions la diversité pour témoigner de l’étendue du domaine : nutrition, toxiques environnementaux, stress psycho-social, inflammations et infections. Nous veillons aussi à avoir autant d’épidémiologistes que de chercheurs travaillant sur les modèles animaux et nous cherchons à attirer toujours plus de cliniciens. Pédiatrie Pratique – La cohorte Elfe est-elle née de l’hypothèse du DOHaD ? M.-A. Charles – Nous avons commencé des études longitudinales en France sur de plus petites cohortes et notamment, en ce qui concerne la santé, sur l’hypothèse de l’origine développementale de la santé et des maladies (DOHaD). Elfe est née de la fusion de plusieurs initiatives en sciences sociales, en sciences de l’environnement et en santé. Elfe est une cohorte qui a débuté le 1er janvier 2011. Elle réunit plus de 18 000 enfants répartis sur l’ensemble du territoire français. Il existe actuellement une préoccupation croissante sur les conséquences de l’exposition pendant la grossesse et l’enfance aux toxiques, polluants atmosphériques, pesticides, etc. La toxicologie a rejoint la DOHaD et de nombreux travaux, dont certains dans la cohorte Elfe, visent à évaluer les effets à long terme de ces expositions, au-delà des effets malformatifs plus immédiats. La cohorte est également issue des sciences sociales, dans le but de comprendre les conséquences à long terme des conditions sociales dans l’enfance et d’orienter ainsi les politiques familiales et de l’enfance. C’est d’ailleurs dans le champ de l’épidémiologie sociale qu’avait été développé le concept « life course », qui implique de concevoir les maladies sur toute la vie. Ces différents courants de pensée ont convergé et ont été appuyés sur le plan biologique par l’émergence de l’épigénétique. Pédiatrie Pratique – Pouvez-vous citer les études de la cohorte Elfe qui reposent sur cette hypothèse ? M.-A. Charles – Pour l’instant, nous en sommes essentiellement à la phase de caractérisation des expositions. On commence à obtenir les premières mises en relation de ces expositions, avec la confirmation que l’exposition in utero à la pollution aérienne est corrélée à une petite taille de naissance. Nous travaillons sur l’exposition aux pesticides et nous avons montré qu’il est nécessaire de prendre en compte non seulement les pesticides agricoles ingérés, mais également les pesticides domestiques utilisés en spray contre les insectes et ceux destinés aux animaux domestiques. De nombreuses et différentes molécules entrent en jeu, formant des cocktails complexes, nous devons les caractériser ainsi que leur mélange. Nous avons déjà constaté des corrélations avec les malformations génitales du petit garçon, observation renforcée par l’existence de mécanismes biologiques plausibles. Pédiatrie Pratique – Existe-t'il d’autres cohortes dans le monde qui conduisent des études dans la perspective du DOHaD ? M.-A. Charles – Il existe de nombreuses cohortes qui ont commencé dans les années 1990. En Angleterre, la première date de 1948 avec des personnes suivies depuis maintenant 70 ans. D’autres cohortes ont été créées en 1956, en 1970, etc. Il est donc possible d’établir une relation entre l’exposition in utero et des pathologies affectant les seniors, comme cela a été montré pour la sarcopénie. Pédiatrie Pratique – Les pouvoirs publics sont-ils attentifs aux résultats de ces travaux ? M.-A. Charles – Oui, la Direction générale de la santé (DGS) est partie prenante de la cohorte Elfe et la soutient. Le ministère de l’Environnement est également un soutien. D’autant que les pouvoirs publics réfléchissent à une orientation de notre système de santé vers plus de prévention et aux moyens de préparer les générations pour leur santé à l’âge adulte. Par exemple, une augmentation même modeste de la pression artérielle (PA) moyenne chez les enfants pourrait annoncer un accroissement de la fréquence de l’hypertension artérielle à l’âge adulte. Un tel phénomène pourrait nécessiter des interventions à l’échelon personnel pour les cas les plus prononcés, mais aussi en termes de santé publique. En effet, l’augmentation de la PA, pour continuer avec cet exemple, peut être liée à des expositions in utero ayant des conséquences fonctionnelles sur le rein sur lesquelles des interventions collectives visant à limiter l’exposition peuvent être la meilleure solution. Pour les interventions plus individuelles, le problème sera de définir des « marqueurs trajectoires » à risque pour la santé future, par exemple de PA, pour savoir quels enfants ou quels adultes jeunes prendre en charge précocement. Dans le cas de l’indice de masse corporelle (IMC), des courbes de trajectoires pathologiques ont été définies. Malgré cela, nous arrivons au terme de la première phase de financement et nous devons trouver de nouveaux soutiens, ce qui n’est pas facile. Pédiatrie Pratique – Avec le DOHaD est-on passé du tout génétique à l’épigénétique et l’exposition environnementale comme origine des maladies ? M.-A. Charles – Chacune de ces données a son importance. Nos gènes ont une influence, nos comportements individuels ont une influence, mais nous sommes aussi conditionnés par notre environnement. Au début de ma carrière, j’ai mené une étude sur les Indiens Pimas chez lesquels s’était installé un cercle vicieux intergénérationnel. Cette population du désert qui vivait d’un régime alimentaire très frugal, est passée très rapidement au mode de vie américain occidental avec sédentarité et une alimentation grasse et sucrée. Une obésité s’est développée très rapidement, comme on l’a constaté chez d’autres Indiens d’Amérique du Nord et du Sud. L’augmentation de l’incidence du diabète gestationnel a favorisé le développement d’obésité et de diabète chez les descendants et en trois générations, 70 % de la population est devenue diabétique à l’âge adulte. Pédiatrie Pratique – Quelles conséquences peuvent tirer les pédiatres dans leurs pratiques de ces connaissances ? M.-A. Charles – Le pari que nous devons tenir maintenant est de passer du concept de DOHaD à des attitudes pratiques pour la surveillance de la santé des enfants comme annonçant celle des futurs adultes qu’ils deviendront. Nous devons donc diffuser des messages auprès des praticiens et la cohorte Elfe, basée sur des données françaises, devrait permettre d’élaborer certaines recommandations. Propos recueillis par G. LAMBERT *La première étude établissant un lien entre obésité à l’âge adulte et exposition à la famine pendant la vie in utero date de 1976 (N Engl J Med 1976 ; 295 : 349-53). À la même période était publié le premier travail sur la famine aux Pays-Bas provoquée par les nazis à l’hiver 1944-1945 (Clement A Smith, Am J Dis Child 1976 ; 130 : 222-3), qui fit l’objet de nombreuses publications.

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