publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Médicament

Publié le 25 jan 2021Lecture 8 min

Indications et modalités de la prescription de L-thyroxine en cours de grossesse

Nathalie Roudaut, Service d’endocrinologie, CHRU Brest

De fortes interactions existent entre l’unité fœto-placentaire et la glande thyroïde dès le début de la grossesse. L’apport iodé ou la présence d’anicorps (Ac) anithyroïdiens peuvent modifier la production des hormones thyroïdiennes. Or, le développement cérébral du fœtus dépend de l’apport hormonal maternel. En effet, la thyroïde fœtale n’est foncionnelle qu’à partir de 20 semaines de grossesse et la mise en place des structures du SNC bien antérieure (figure 1).

Figure 1. Adaptée de Morreale De Escobar G, Obregon MJ, Escobar del Rey F. Is neuropsychological development related to maternal hypothyroidism or to maternal hypothyroxinémia. J Clin Endocrinol Metab 2000 ; 85 : 3975-87. Un défaut de production thyroïdienne maternelle peut donc avoir un retentissement sur le développement neuropsychologique de l’enfant. De plus, même en l’absence d’hypothyroïdie maternelle, la présence d’Ac antithyroïdiens peut être associée à un risque d’infertilité, de fausses couches ou de prématurité. Fonction thyroïdienne et grossesse Pendant la grossesse, la production de T4 et T3 augmente de 50 %, et les besoins quotidiens en iode se majorent de 50 %. Selon l’OMS, l’iodurie normale est > 10 µg/100 ml et il existe une carence iodée si elle est < 5 µg/100 ml. L’iodurie des 24 h n’est pas un marqueur valide de l’état des stocks individuels si le dosage n’est réalisé qu'une seule vois (non remboursé par la CPAM). L’étude épidémiologique française SUVIMAX(1) retrouvait une Iodurie médiane chez les femmes de 8,2 µg/100 ml. La carence iodée avérée (< 5 µg/100 ml) est associée à une augmentation du risque de fausse couche, de mortalité périnatale et de déficit intellectuel chez l’enfant. La carence iodée modérée (5 µg/100 ml < iodurie < 15 µg/100 ml) peut induire des troubles de l’attention, une hyperactivité, voire des troubles cognitifs chez l’enfant. Le bénéfice neuropsychologique d’un apport iodé n’est obtenu que s’il est débuté avant 20 semaines de grossesse. L’OMS recommande la prise de 250 µg/jour d’iode pendant la grossesse et l’allaitement, et l’American Thyroid Association (ATA) la prise de 150 µg/jour d’Iode 3 mois avant, pendant la grossesse et l’allaitement, sauf chez les femmes traitées par L-thyroxine(2). Les sources alimentaires d’iode sont le lait de vache, le sel enrichi en iode, les fruits de mer et les œufs. Si besoin, des compléments nutritionnels contenant au moins 150 µg/j d’iode (non remboursés) peuvent être proposés. Fonction thyroïdienne normale pendant la grossesse Les normes de la TSH chez l’adulte, en dehors de la grossesse, sont comprises entre 0,4 et 4,5 mU/l. L’évaluation de la fonction thyroïdienne est difficile pendant la grossesse, car l’HCG placentaire stimule la production des hormones thyroïdiennes (figure 2). Figure 2. Adaptée de Glinoer D, De Nayer P, Bourdoux P, Lemone M, Robyn C, Van Steirteghem A, Kinthaert J, Lejeune B. Regulation of maternal thyroid during pregnancy. J Clin Endocrinol Metab 1990 ; 71 : 276-87. L’étude chez plus de 60 000 femmes enceintes indemnes de pathologie thyroïdienne montre des variations importantes des valeurs de référence de la TSH par trimestre, selon la géographie, l’ethnie, l’IMC et les kits de dosage utilisés. Il est donc nécessaire de disposer de normes spécifiques par population et par trimestre de grossesse. En l’absence de ces normes, il a été proposé par l’ATA en 2017, qu’au 1er trimestre, la norme de TSH soit comprise entre 0,1 et 4 mU/l. Auto-immunité thyroïdienne Deux à 17 % des femmes enceintes ont des Ac antithyroïdiens et 20 % d’entre elles développent une hypothyroïdie en cours de grossesse. De nombreuses études ont mis en évidence une augmentation du risque de fausse couche chez les femmes porteuses d’Ac antithyroïdiens. Dans une métaanalyse, l’OR pour la survenue d’une fausse couche chez les femmes avec Ac versus sans était de 2,31 (IC95 % : 1,9-2,82)(3). Mais association ne signifie pas causalité : les femmes présentant une auto-immunité thyroïdienne étaient plus âgées, avaient une TSH plus élevée et étaient porteuses d’autres auto-Ac. Cependant, un essai contrôlé d’intervention par la L-thyroxine chez des femmes euthyroïdiennes avec Ac anti-TPO a montré que le risque de fausse couche était significativement réduit chez les femmes traitées (3,5 %) versus celles non traitées (13,8 %)(4). Un traitement par 25 à 50 µg/j de L-thyroxine peut être envisagé chez les femmes euthyroïdiennes présentant des Ac anti-TPO et ayant des antécédents de fausse couche. Il semble exister une association entre la présence d’Ac antithyroïdiens et une naissance prématurée. Une métaanalyse de 11 cohortes prospectives (35 467 femmes) retrouve un RR de naissance avant 37 semaines de grossesse de 1,41 (IC95 % : 1,08-1,84) en cas de positivité des Ac anti-TPO et/ou anti-thyroglobuline(5). Un essai contrôlé, TABLET, a été mené au Royaume-Uni pour évaluer si la prescription de L-thyroxine chez des femmes euthyroïdiennes porteuses d’Ac anti-TPO permet d’augmenter le taux de naissances après 34 semaines de grossesse(6) : 952 femmes ayant un antécédent d’au moins une fausse couche ou prises en charge pour infertilité ont été traitées avant la conception par 50 µg/j de L-thyroxine ou placebo durant toute la grossesse. Le taux de naissances après 34 semaines de grossesse était de 37,4 % chez les femmes traitées versus 37,9 % sous placebo, soit un RR = 0,97 (IC95 % : 0,83-1,14). Il n’existait aucune différence entre les groupes sur l’incidence des complications maternelles ou néonatales. Ces résultats ne plaident pas en faveur d’un traitement par L-thyroxine chez les femmes thyroïdiennes porteuses d’Ac pour prévenir la prématurité. Infertilité et PMA Le lien entre infertilité féminine et hypothyroïdie avérée est démontré. Un dosage de TSH doit être réalisé dans le bilan d’une infertilité féminine. L’association entre hypothyroïdie infraclinique ou auto-immunité thyroïdienne et infertilité féminine est plus controversée. L’effet dans ces populations d’un traitement par L-thyroxine sur la probabilité de concevoir spontanément n’a pas été évalué. Cependant, le traitement d’une hypothyroïdie infraclinique semble bénéfique en cas de PMA. Une métaanalyse chez des femmes présentant des Ac anti-TPO ou une TSH > 4 ou 4,5 mU/l a montré que le traitement par L-thyroxine n’augmente pas les chances de grossesse (RR = 1,75 ; IC95 % : 0,9-3,38), mais est associé à un taux supérieur d’accouchement (RR = 2,76 ; IC95 % : 1,2- 6,44)(7). Un traitement est donc recommandé chez les femmes prises en charge en PMA ayant une TSH > 2,5 mU/l avec un objectif < 2,5 mU/l. Hypothyroïdie En 2011, l’ATA a défini l’hypothyroïdie en cours de grossesse par un seuil de TSH > 2,5 mU/l au 1er trimestre de la grossesse et > 3 mU/l ensuite. Ces seuils ont été adoptés par l’ETA en 2014. Compte tenu des données publiées depuis sur les valeurs de référence de la TSH par trimestre(2), et des études récentes montrant que la présence d’Ac anti-TPO est associée à un risque plus élevé, pour un même niveau de TSH, l’ATA en 2017 a proposé que la décision d’initiation d’un traitement par L-thyroxine sur la TSH et l’existence ou non d’Ac anti-TPO (tableau 1)(2). L’hypothyroïdie avérée est associée à un risque de fausse couche, prématurité, retard de croissance intra-utérin, hypertension gravidique et à une réduction du quotient intellectuel (QI) de l’enfant.  L'impact de l'hypotyroïdie infraclinique est plus controversé. Le risque de fausse couche semble augmenter avec la TSH maternelle. Les données sur le risque de prématurité associé à une hypothyroïdie infraclinique sont discordantes et ont utilisé des seuils de TSH variables. Une étude a comparé le risque de prématurité à 34 et 37 semaines de grossesse selon un seuil de TSH > 4 mU/l versus 2,5 mU/l. Une TSH > 2,5 mU/l n’augmentait pas significativement les naissances prématurées à 34 et 37 semaines, tandis qu’une TSH > 4 mU/l était associée à un OR = 1,87 (IC95 % : 1,11- 3,14) de naissance avant 37 semaines et à un OR = 2,46 (IC95 % : 1,04-5,83) de naissance avant 34 semaines(8). Le bénéfice du dépistage d’une TSH élevée (> 97,5e percentile) ou d’une T4 libre basse (< 2,5 percentiles) a été évalué chez 22 000 femmes britanniques avant 16 semaines de grossesse par une étude contrôlée, CATS(9) : 390 femmes (groupe dépistage) ont été traitées par 150 μg de L-thyroxine au terme moyen de 13 semaines et 3 jours de grossesse, et 404 femmes n’ont pas été traitées (groupe contrôle). Le QI des enfants, étudié à l’âge moyen de 3,2 ans, ne différait pas significativement entre le groupe dépistage et le groupe contrôle. Cette publication a été critiquée : introduction tardive du traitement, dose unique et élevée de L-thyroxine et évaluation des fonctions cognitives des enfants par un QI, non pertinent à cet âge. Toutefois, ces enfants ont été réévalués à l’âge moyen de 9,5 ans par des tests neuropsychologiques : le pourcentage d’enfants présentant un QI < 85 ne différait pas significativement selon que les mères avaient été traitées (7,56 %) ou non (11,22 %)(10). Chez les femmes présentant une hypothyroïdie traitée avant la grossesse, les besoins en hormones thyroïdiennes se majorent dès 4 à 6 semaines de grossesse jusqu’à 16 à 20 semaines de grossesse. L’objectif de TSH en préconceptionnel chez ces femmes est < 2,5 mU/l. La dose de L-thyroxine doit être majorée de 25 à 30 % dès le début de la grossesse. Chez les femmes traitées par une prise quotidienne, il peut être proposé d’augmenter de 2 comprimés hebdomadaires (à la même posologie que celle prise quotidiennement). Après l’accouchement, la dose de L-thyroxine doit être réduite à la dose prise avant la grossesse. Conclusion  Un apport de 150 μg/jour d’Iode est recommandé 3 mois avant, pendant la grossesse et l’allaitement. La TSH normale pendant la grossesse est comprise entre 0,1 et 4 mU/l. Mais un traitement par L-thyroxine est recommandé chez les femmes prises en charge en PMA et ayant une TSH > 2,5 mU/l et chez les femmes euthyroïdiennes présentant des Ac ani-TPO et ayant des antécédents de fausses couches. Le cas échéant, si la TSH est > 2,5 mU/l, un dosage d’Ac ani-TPO doit être réalisé et un traitement par L-thyroxine introduit si la TSH est > 4 mU/l (2,5) en présence d’Ac, et si la TSH > 10 mU/l (4) en l’absence d’Ac.

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

Vidéo sur le même thème