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Obstétrique

Publié le 08 aoû 2024Lecture 7 min

Troubles de la statique pelvienne - Grossesses, césariennes ou accouchements : qui est responsable ?

Daniel ROTTEN, Paris
Troubles de la statique pelvienne - Grossesses, césariennes ou accouchements : qui est responsable ?

La prévalence des dysfonctionnements du plancher pelvien est élevée. Dans une enquête récente menée en Espagne, près de 40 % des femmes interrogées déclaraient être affectées – à des degrés divers – d’au moins un des symptômes constitutifs de l’affection (incontinence d’urines, prolapsus génital, incontinence fécale, douleur de la région pelvi-périnéale). Le risque de nécessiter une chirurgie de réparation au cours de la vie est estimé à 20 %. Ces chiffres soulignent l’importance de caractériser au mieux les facteurs de risque et de mettre en place si possible des mesures de prévention.

Les relations entre dysfonctionnements du plancher pelvien et antécédents obstétricaux sont régulièrement interrogées. En effet, on retrouve un antécédent d’accouchement par voie basse chez la majorité des femmes qui ont eu une chirurgie uro-génitale reconstructrice. Également, plusieurs études ont démontré une association entre le nombre d’accouchements par voie vaginale et le risque de nécessiter une intervention en vue de corriger une incontinence urinaire d’effort ou un prolapsus vaginal. Mais dans le détail, le sujet reste l’objet de controverses. Sont débattus par exemple l’effet de la répétition des accouchements par voie basse, le degré de protection pelvienne apporté par l’accouchement par césarienne, ainsi que l’effet des répétitions de ces dernières. J. Larsudd-Kåverud et coll. ont mené une étude destinée à caractériser l’influence respective de la grossesse, de la parité et du mode d’accouchement sur le risque ultérieur de nécessiter une intervention de correction d’un prolapsus génital ou d’une incontinence d’urines (parfois les deux). Un point méthodologique fort de leur travail est d’avoir inclus deux groupes de référence. Le premier est constitué par les femmes ayant subi une intervention de correction d’un prolapsus génital ou d’une incontinence urinaire d’effort mais nullipares. Un deuxième groupe témoin est constitué par la « population générale», c’est-à-dire ici l’ensemble des femmes âgées de 45 ans et plus, ayant subi ou non une intervention de reconstruction pelvienne. Protocole Les données sont extraites de trois registres nationaux, exhaustifs pour l’ensemble de la Suède. Le registre GynOp recense de manière prospective les interventions gynécologiques, en particulier les interventions pour troubles de la statique pelvienne. Le Medical Birth Register recense les grossesses et leur issue. Le troisième registre utilisé est le Total Population Register. Il contient des données démographiques de l’ensemble de la population suédoise. La population d’étude est constituée à partir de ces registres. Il s’agit des femmes âgées de 45 ans et plus, qui ont subi une intervention chirurgicale pour prolapsus génital ou incontinence d’urines entre 2010 et 2017. Elles sont réparties en trois groupes : femmes ayant eu ≥ 1 accouchement par voie vaginale; femmes ayant eu ≥ 1 césarienne, qu’elle soit élective ou réalisée en urgence, mais n’ayant eu aucun accouchement par voie vaginale; nullipares. Un échantillon représentatif de la « population générale » est extrait du Total Population Register. Il est constitué de 2 309 765 femmes (femmes ayant eu ≥ 1 accouchement par voie vaginale : 79,6 %; femmes ayant eu ≥ 1 césarienne mais aucun accouchement par voie vaginale : 6,6 %; nullipares: 13,8 %). Résultats Si on considère les femmes ayant eu une chirurgie pour trouble de la statique pelvienne, on observe que les femmes ayant eu ≥ 1 accouchement par voie vaginale sont surreprésentées par rapport à leur nombre dans la population de référence, avec un risque relatif d’intervention de 1,23. C’est l’inverse pour les femmes ayant eu ≥ 1 césarienne mais aucun accouchement par voie vaginale ou les nullipares : ces deux groupes sont largement sous-représentés par rapport aux constatations dans l’ensemble de la population. Dans tous les cas, la différence est hautement significative (figure 1A, tableau 1). Une situation parallèle est observée concernant la correction chirurgicale des incontinences urinaires d’effort (figure 1B, tableau 2). Figure 1. Correction chirurgicale des troubles du plancher pelvien selon le statut obstétrical. Pour les femmes ayant bénéficié d’une intervention pour prolapsus génital (a) ou incontinence urinaire d’effort (B), la figure montre la répartition (en %) selon le mode d’accouchement (≥ 1 accouchement par voie basse ; ≥ 1 accouchement par césarienne uniquement) et chez les nullipares.   Deuxième observation : l’effet de la parité diffère selon les groupes. Pour les femmes ayant accouché par voie vaginale, le risque d’intervention chirurgicale augmente avec la parité, que ce soit pour la correction d’un prolapsus génital ou d’une incontinence urinaire. Ainsi, pour la correction des prolapsus génitaux, le risque, qui est de 2,3 ‰ femmes chez les nullipares, passe à 13,9 ‰ dès le premier accouchement par voie vaginale (figure 2A). Ensuite, le risque augmente avec le nombre d’accouchements supplémentaires, sans que l’augmentation soit aussi marquée qu’après le premier accouchement. Au total, le risque augmente près de 20 fois entre les femmes ayant eu ≥ 4 accouchements par voie vaginale et les femmes nullipares. On observe une évolution semblable pour les interventions pour incontinence urinaire, bien que sur un mode moins prononcé. Le risque, qui est de 2,7 ‰ femmes chez les nullipares, passe à 8,90 ‰ femmes dès le premier accouchement par voie vaginale (figure 2B). Figure 2. Correction chirurgicale des troubles du plancher pelvien, accouchements par voie vaginale et parité. La figure montre le risque selon la parité d’avoir une correction chirurgicale pour prolapsus génital (a) ou incontinence d’urines (B) chez les femmes ayant accouché par voie vaginale. Le risque est exprimé sous forme de risque cumulé pour mille femmes. La hauteur des losanges indique l’intervalle de confiance à 95 %.   Ensuite, le risque augmente avec le nombre d’accouchements, bien que de façon moins marquée, jusqu’à être multiplié par un facteur 5 chez les femmes ayant eu ≥ 4 accouchements par voie vaginale par rapport aux nullipares. Cette situation contraste avec l’évolution du risque de chirurgie de reconstruction pelvienne après les accouchements par césarienne. En ce qui concerne le risque de chirurgie pour prolapsus génital, on observe une décroissance régulière. Le risque, qui est de 2,3 ‰ femmes chez les nullipares diminue régulièrement. Il est de 0, 3 ‰ chez les femmes ayant eu ≥ 4 accouchements par césarienne, soit une baisse d’un facteur proche de 10 (figure 3A ; on notera la différence d’échelle avec les figures 1 et 2). En ce qui concerne la chirurgie pour incontinence urinaire, le risque décrit une courbe en cloche (figure 3B). Globalement, cependant, le calcul montre que le risque augmente légèrement avec la « parité césarienne ». Figure 3. Correction chirurgicale des troubles du plancher pelvien, accouchements par césarienne et parité. La figure montre le risque d’avoir une correction chirurgicale pour prolapsus génital (a) ou incontinence d’urines (B) chez les femmes ayant accouché uniquement par césarienne (« parité césarienne »). Le risque est exprimé sous forme de risque cumulé pour mille femmes. La hauteur des losanges indique l’intervalle de confiance à 95 %.   En résumé Les femmes ayant accouché par voie vaginale sont surreprésentées parmi la population des femmes qui ont eu une chirurgie uro-génitale reconstructrice, alors que les femmes ayant accouché par césarienne uniquement sont au contraire sous représentées, au même titre que les nullipares. Le risque d’intervention, que ce soit pour corriger un prolapsus vaginal ou une incontinence urinaire d’effort, augmente avec le nombre d’accouchements par voie vaginale, alors que ce n’est pas le cas après les accouchements par césarienne. Enfin, c’est le premier accouchement par voie vaginale qui entraîne la plus forte augmentation de risque de chirurgie ultérieure. Commentaire Parmi les points forts de cette étude, on a déjà signalé l’intérêt de la prise en compte de deux groupes contrôles : l’ensemble de la population de femmes de 45 et plus ; les femmes opérées de chirurgie réparatrice pelvienne mais nullipares. En outre, le choix du paramètre « femmes ayant subi une intervention en vue de corriger un prolapsus vaginal ou une incontinence urinaire d’effort » permet d’utiliser un critère uniforme et robuste de sélection de la population d’étude. La structure des données permet d’approcher une analyse des facteurs physiopathologiques en cause dans l’augmentation d’incidence des troubles du plancher pelvien en rapport avec la gestation. Elle permet de distinguer l’effet « accouchement par voie vaginale » de l’effet « grossesse » observé chez les femmes ayant seulement eu des accouchements par césarienne ou chez les nullipares. À partir de ces données, J. Larsudd-Kåverud et coll. proposent une classification analytique des facteurs en cause dans la genèse des troubles du plancher pelvien (figure 4). Figure 4. Essai de classification des facteurs physiopathologiques en cause dans l’augmentation d’incidence des troubles du plancher pelvien en rapport avec les grossesses et les accouchements (d’après J. Larsudd-Kåverud).   Quelques points restent toutefois intrigants (et peu discutés par les auteurs de l’article). Le premier est la diminution du risque d’intervention pour correction de prolapsus à mesure qu’augmente « la parité césarienne » (figure 3A). Le second point qui interroge : le pourcentage de femmes nullipares ayant eu recours à une correction chirurgicale est supérieur à celui des femmes du groupe « accouchements par césarienne » (figure 1). Pour terminer, les auteurs de l’article discutent les implications de leurs résultats en termes de santé publique. Ils soulignent que les analyses médico-économiques doivent inclure, outre le coût direct des accouchements, le coût de la réparation des dysfonctionnements du plancher pelvien, ainsi que leur retentissement sur la qualité de vie des femmes; et que l’ensemble de ces éléments doivent être communiqués aux femmes dans le cadre de leur autonomie de décision concernant la voie d’accouchement qu’elles sont appelées à privilégier. Publié dans Gynécologie Pratique

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