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Risque

Publié le 25 sep 2014Lecture 10 min

Le retentissement fœtal et néonatal de l’alimentation maternelle

C. HERBEMONT*, N. SERMONDADE*,**, C. FAURE*,**, C. DUPONT*,**, S. HERCBERG**, R. LEVY*,** *Service d’Histologie-Embryologie-Cytogénétique-CECOS, CHU Jean Verdier, AP-HP, Hôpitaux universitaires Paris-Seine Saint-Denis, Bondy **Unité de Recherche en Épidé

Les effets d’une alimentation maternelle inappropriée sur le développement du fœtus et la santé de l’enfant, puis de l’adulte, se programment au cours de différentes périodes critiques, depuis la période préconceptionnelle (via un impact sur les gamètes) jusqu’aux premiers jours de vie. Le concept de l’origine développementale de la santé et des maladies de l’adulte (DOHaD) est associé à des modifications de marques épigénétiques : ces modifications sont possiblement partiellement réversibles.

Impact de l’environnement sur la fonction de reproduction   L’impact de l’environnement sur la fonction de reproduction et sur la qualité des gamètes a fait l’objet de nombreuses publications. Ont ainsi été incriminés l’exposition aux polluants atmosphériques, à l’eau, au tabac, l’alimentation ou encore le mode de vie. Récemment, l’Institut de veille sanitaire a rapporté un déclin constant des paramètres spermatiques en 17 ans : diminution de 32,2 % de la concentration spermatique entre 1989 et 2005(1). S’il est difficile, au niveau individuel, d’agir sur la qualité de l’air ou de l’eau, ce n’est pas le cas du comportement alimentaire : en effet, il est possible de tenter de modifier le poids et l’index de masse corporelle (IMC), la composition corporelle (adiposité), l’équilibre métabolique ou la pratique régulière d’une activité physique. Les effets de l’environnement sont particulièrement importants au cours de périodes critiques : périodes pré- et périconceptionnelles, anté- et périnatales, pré- et péripubertaires. Ainsi, une exposition in utero est susceptible d’avoir un impact sur l’embryon, puis le foetus en développement, mais aussi sur sa santé future à l’âge adulte, voire sur la santé de sa descendance (transgénérationnelle). Il est donc particulièrement important d’identifier les périodes critiques et les facteurs, dont les effets peuvent être modifiables, voire réversibles.   Épidémiologie La prévalence de l’obésité en France et dans le monde ne cesse d’augmenter depuis les dernières décennies. D’après le rapport ObEpi 2012, 32,3 % des Français de plus de 18 ans sont en surpoids et 15 % sont obèses(2). Un tiers des femmes en âge de procréer et la moitié des hommes ont un IMC ≥25 kg/m² ; 15 % des femmes et des hommes sont obèses. Aux États-Unis, il est estimé qu’une femme sur 5 débute une grossesse en étant obèse(3). La mesure du tour de taille est un moyen d’apprécier l’adiposité abdominale qui est associée à un risque accru de maladies cardiométaboliques, d’insulinorésistance et de certains cancers. Elle est évaluée facilement par la mesure du tour de taille (TT). En 2012, 43 % des femmes présentaient un TT > 88 cm, et 27 % des hommes un TT > 102 cm (seuil NCEP [National Cholesterol Education Program]). Selon le seuil IDF (International Diabetes Federation), 67,6 % des femmes présentaient un TT > 80 cm et 52,3 % des hommes un TT > 94 cm. L’Etude nationale Nutrition Santé (2006-2007) rapporte les comportements alimentaires chez les Français et conclut à un statut nutritionnel médiocre, avec une déficience des apports en calcium par rapport aux apports nutritionnels conseillés chez un peu plus d’un homme sur deux et deux tiers des femmes, une consommation insuffisante en fruits et légumes, et des apports totaux en lipides inadéquats chez un tiers des Français interrogés(4). Mécanismes   Stress oxydant Le déséquilibre alimentaire pourrait contribuer à déséquilibrer le statut oxydant au niveau systémique (au niveau du tissu adipeux) et au niveau local (tractus génital et plasma séminal). Tout ceci concourt à une augmentation du stress oxydant, qui semble être le mécanisme clé à l’origine du retentissement des facteurs environnementaux sur la fonction de reproduction et sur le développement fœtal.   Origines développementales de la santé et des maladies de l’adulte (DOHaD) Le concept de DOHaD a initialement été évoqué dans les années 1990 par Barker et Clark, qui ont mis en évidence un risque accru de maladies métaboliques chez les individus avec un petit poids de naissance. En cas de malnutrition maternelle, le fœtus réagit par une réponse adaptative prédictive (en mode économie), via un dysfonctionnement placentaire, avec un retard de croissance intrautérin. À l’âge adulte, l’individu présente alors un sur-risque de déclencher une obésité, des maladies cardiovasculaires, une HTA ou un syndrome métabolique. Un impact sur la fonction de reproduction, via un effet direct sur les cellules de Sertoli ou par l’intermédiaire du syndrome métabolique, est également envisagé(5).   Épigénétique : mécanisme de la DOHaD Les modifications épigénétiques, telles que la méthylation de l’ADN ou l’acétylation des histones, contribuent au processus de la DOHaD. Ces modifications épigénétiques, liées à l’environnement, peuvent survenir au cours de la gamétogenèse, du développement in utero et après la naissance, tout au long de la vie, comme le montre l’étude des différences dans l’épigénome de jumeaux monozygotes à 3 et à 50 ans(6). Elles sont possiblement partiellement réversibles.   Modèles animaux   Obésité maternelle Dans un modèle murin, les femelles obèses (high-fat diet) présentaient une apoptose folliculaire accrue, des ovocytes de diamètre réduit et donc moins d’ovocytes matures. Au stade de blastocyste, l’expression du récepteur à l’IGF1 était significativement diminuée. Les fœtus étaient plus petits, avec un poids de naissance plus faible. À 13 semaines, les petits des souris obèses, après un rebond pondéral, étaient significativement plus gros et plus gras, et présentaient des signes de syndrome métabolique (intolérance au glucose, cholestérolémie plus élevée) plus prononcés chez les mâles(7).   Hyperglycémie maternelle L’exposition in vitro à une hyperglycémie de 24 h est délétère pour le développement embryonnaire : moins de blastocystes, moins d’éclosions, moins de cellules dans le bouton embryonnaire(8). In vivo, l’hyperglycémie depuis la fécondation jusqu’à l’allaitement provoque un retard de croissance in utero chez le mâle, une hypoglycémie et un impact sur la fonction de reproduction, avec comme conséquences un retard de descente testiculaire, une diminution du poids des organes reproducteurs et une altération de la production spermatique(9).   Déficience en vitamine B12 Chez le rat, une carence en vitamine B12 au cours de la gestation a un impact sur le poids de naissance des ratons mâles, et induit chez le raton exposé in utero une atteinte du développement des tubes séminifères, une augmentation de l’apoptose des spermatogonies, observées au 21e jour post-natal. Au 60e jour, l’examen histologique montre ainsi une atrophie des tubes séminifères, l’absence de spermatozoïdes matures et une hypertrophie leydigienne(10). Cette atteinte est partiellement réversible.   Chez l’humain   Études épidémiologiques   ● Obésité L’IMC de la mère au moment de la conception a un impact sur l’IMC du bébé (0-9 mois)(11). Les adolescents de 16 ans en surpoids ou obèses sont nés en majorité d’une mère obèse au moment de la conception(12). Plus l’IMC de la mère est élevé au premier trimestre de la grossesse, plus l’index de masse grasse de l’enfant à 9 ans augmente, en particulier chez les filles(13). R. Cooper et coll. en 2010 ont pris en compte l’IMC de la mère et du père et ont observé une association positive forte entre l’IMC de chacun des parents et celui de l’enfant à 11 ans, quel que soit le sexe(14). Cette association persiste à l’âge de 45 ans, et après ajustement sur des facteurs de confusion (la consommation d’alcool, le tabagisme, la sédentarité et l’alimentation).   ● Gain de poids pendant la grossesse Quel que soit l’IMC préconceptionnel de la mère, la prise de poids excessive pendant la grossesse a été associée à une augmentation significative de la prévalence du surpoids de l’enfant à 7 ans et à l’âge adulte(15,16). Une augmentation significative de l’adiposité a été montrée chez les nouveau-nés, dont la mère présentait un gain de poids gestationnel excessif, et ce, surtout si la mère présentait un IMC préconceptionnel normal(17).   ● Impact du poids de naissance sur l’obésité et sur la fertilité En 2005, P.K. Newby et coll. ont mis en évidence une augmentation du risque d’obésité sur une cohorte de 18 109 femmes nées avec un poids de naissance < 2 500 g ou ≥ 4 000 g, selon une courbe en U(18). Un impact du poids de naissance sur la fertilité a également été rapporté. Chez les filles nées avec un poids faible ou élevé, un risque accru de délai nécessaire à la conception (DNC) > 1 an a été observé(19). Chez le garçon, un lien entre le poids de naissance et une tendance à l’hypogonadisme à la puberté a été établi. À l’âge adulte, et indépendamment de la composition corporelle, des concentrations sériques en testostérone et en SHBG (Sex hormon-binding globulin) abaissées ont été rapportées(20,21).   Héritage transgénérationnel Les individus exposés in utero à la famine hollandaise entre 1944-1945 ont présenté plus de maladies cardiovasculaires, de diabètes de type 2 et de cancers du sein. M.V.E. Veenendaal et coll. en 2013 se sont intéressés au devenir des enfants des individus exposés à la famine in utero : les enfants des pères exposés ont un poids et un IMC plus élevés que les enfants de pères non exposés, alors que l’exposition maternelle in utero n’a aucun effet sur l’IMC ni sur le poids de la descendance(22). Ces données suggèrent l’existence d’un héritage transgénérationnel via la lignée paternelle, possiblement via une reprogrammation épigénétique dans la lignée germinale mâle. Une transmission de l’IMC sur trois générations, cette fois via la lignée maternelle, a été retrouvée par C.M. Murrin et coll. en 2012(23). Mécanismes   Insulinorésistance Une augmentation physiologique de la sécrétion d’insuline, avec une sensibilité à l’insuline stable, se produit en début de grossesse, dans le but d’assurer la lipogenèse maternelle et la croissance fœtale. Chez la femme en surpoids ou obèse, la sensibilité à l’insuline diminue rapidement dès le début de la grossesse. En cas de diabète gestationnel et en cas de surpoids maternel, une augmentation significative de l’adiposité néonatale a été mise en évidence(24). Il existe une corrélation entre la triglycéridémie maternelle en fin de grossesse et la croissance foetale ou l’adiposité(25). Les effets de la dérégulation du métabolisme de l’insuline ont été étudiés chez le rat par S.A. Bayol et coll. en 2005(26). Chez les petits de mères soumises à un régime « cafétéria » pendant la gestation et l’allaitement, une hypertrophie adipocytaire, avec augmentation de la surface adipocytaire et de la graisse intramusculaire, a été observée.   Dérégulation hypothalamique La leptine est une hormone sécrétée en partie par les adipocytes. Au cours de la période périnatale, elle exerce une action neurotrophique sur les projections du noyau arqué hypothalamique vers le noyau paraventriculaire, impliquées dans le contrôle de la prise alimentaire. Des études chez le rat(27) ont montré un taux anormalement élevé de leptine chez les petits, dont la mère a été soumise à un régime obésogène 6 semaines avant la fécondation, pendant la gestation et l’allaitement. De ce fait, un état de « leptinorésistance » se crée chez le petit, probablement dû à une régulation négative des récepteurs hypothalamiques, qui pourrait expliquer en partie la programmation foetale de l’hyperphagie et de l’obésité.   Dérégulation adipocytaire La dérégulation adipocytaire a été étudiée chez le rat par K. Shankar et coll. en 2008(28). Les mères ont été soumises à un régime obésogène 3 semaines avant la fécondation seulement, puis à un régime normal au cours de la gestation et de la lactation. Les petits ont quant à eux été soumis soit à un régime normal, soit à un régime obésogène. Dans les deux groupes, le poids de naissance et le gain de poids après la naissance étaient identiques. Cependant, une hypertrophie et une hyperplasie adipocytaire ont été mises en évidence chez les ratons nés de mères obèses. Ceci confirme le rôle déterminant de l’obésité maternelle préconceptionnelle sur la composition corporelle du petit et l’augmentation du risque d’obésité à l’âge adulte.   Mécanisme placentaire Chez des femelles macaques devenues obèses suite à un régime riche en graisses, sur une période de 4 ans avant la fécondation, une altération de la circulation utéroplacentaire a été mise en évidence(29).   Le rôle du père Plusieurs équipes(30,31) ont étudié chez l’animal l’effet de l’alimentation du père sur la santé de la descendance. Un régime obésogène ou pauvre en protéines chez le père, pendant la période périconceptionnelle, a un impact à long terme sur la santé de la descendance, via la transmission d’un phénotype métabolique. Ceci implique des altérations de la qualité des spermatozoïdes au cours de la spermatogenèse, et notamment des marques épigénétiques.   Conclusion Devant l’impact de l’alimentation de la mère sur la santé de l’enfant, une intervention précoce paraît devoir être envisagée : dès le début de la première grossesse, voire en amont de la conception. La consultation préconceptionnelle, recommandée par la HAS, inclut une prise en charge nutritionnelle des deux membres des couples.

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