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Vaccination

Publié le 28 mai 2019Lecture 6 min

Le sein plus les vaccins, c’est plus malin !

F. VIÉ LE SAGE

L’hésitation vaccinale est très présente en France. Certains de ses leaders, à court d’argument, ont trouvé une nouvelle approche qui se voudrait innovante et disruptive : le lait maternel protègerait contre toutes les maladies infectieuses grâce à ses propriétés immunitaires et rendrait inutile les vaccins avant l’âge de 2 ans(1). Qu’en est-il scientifiquement ?

Le lait maternel est effectivement l’alimentation du nourrisson la plus adaptée. Il a aussi des propriétés antimicrobiennes, antivirales et immunomodulatrices. C’est donc incontestablement la meilleure manière de nourrir le nouveau-né, mais cette protection est très peu spécifique et n’apporte malheureusement pas une protection ciblée contre les maladies graves. Une protection non spécifique L’essentiel des anticorps (Ac) qu’il apporte est en effet de type IgA sécrétoires. Ils sont présents sur les muqueuses, en particulier respiratoires et digestives et réalisent une première ligne de défense, certes très utile, mais insuffisante vis-à-vis des maladies graves. Dans l’intestin, la production d’IgA est fortement induite au cours de la colonisation des nouveau-nés par la flore intestinale, acquise au cours de l’accouchement et dans les heures qui suivent(2). Tous les enfants en bénéficient, allaités ou non (quoique ceux nés par césarienne en bénéficient peut-être moins). Dans ce cadre, l’apport du lait maternel est secondaire et passif, mais surtout, le lait maternel (LM) ne contient pas ou très peu d’Ac de type IgG et IgM, qui sont les anticorps actifs au niveau sanguin et général. Ce sont eux qui confèrent une protection efficace, spécifique et ciblée ; surtout si elle a été stimulée auparavant, en particulier grâce à la mémoire immunitaire acquise par la vaccination. D’autres agents anti-infectieux présents dans le LM ont un intérêt*. Cependant, ils n’apportent pas non plus de protection spécifique contre les maladies, en particulier à prévention vaccinale : acides gras polyinsaturés à longues chaînes : ils augmentent le nombre de lymphocytes T mémoires et la réponse cytokine ; oligosaccharides : ils agissent comme des récepteurs analogues, empêchant les virus d’interagir avec la muqueuse intestinale ; lysozyme, peroxydase, lipase, antiprotéases, lactoferrine : ils sont virucides ; le lait de mère contient 106 à 107 cellules par ml dont 80 % de PN, 15 % de macrophages et 5 % de lymphocytes ; les cytokines et les chimiokines, contenues dans le lait, modulent les défenses immunitaires ; quant au cycle entéro-mammaire, il permet à des IgA sécrétoires de se retrouver très rapidement dans les glandes mammaires et dans les glandes salivaires de la mère. Ainsi l’allaitement permet un meilleur « état » immunitaire, surtout si on l’associe à l’accouchement par voie basse, à l’absence de tabagisme et à l’absence de garde en collectivité au moins pendant le premier hiver. Cependant, comme tous ces facteurs, il n’apporte pas ou peu de protection spécifique contre les maladies à protection vaccinale, en dehors et de façon incomplète vis-à-vis des gastroentérites(3,4). Comment est protégé le nourrisson ? Le nouveau-né reçoit bien des Ac type IgG de sa mère, mais par voie transutérine dans les 2 derniers mois de grossesse, et non par l’allaitement. Ces Ac ont une clairance (élimination) assez rapide, d’où une protection de seulement quelques mois. Ceci explique que le nourrisson, allaité ou non, soit particulièrement fragile entre 3 et 6 mois : il a perdu la majeure partie des Ac apportés en fin de grossesse et n’en fabrique pas encore assez lui-même. Par ailleurs, encore faudrait-il que la mère ait, elle-même, des anticorps à transmettre. La plupart des adultes non revaccinés récemment n’ont plus de protection contre la coqueluche par exemple. Comment la mère pourrait-elle transmettre une protection qu’elle n’a pas elle-même ? L’avenir en France, pour la coqueluche, serait de vacciner les mères pendant la grossesse. C’est déjà ce qui est fait dans de nombreux pays comme le Royaume-Uni et les États-Unis, avec d’excellents résultats et aucun problème particulier de tolérance. En France, actuellement, la vaccination pendant la grossesse n’est recommandée (et très peu appliquée) que pour la grippe. Un vaccin dtPCa (Boostrix®) possède une AMM pendant la grossesse. La recherche se porte maintenant sur des vaccins contre les bronchiolites (VRS) et le streptocoque B pendant la grossesse. Comme pour la grippe et la coqueluche, on protègera la mère et ainsi l’enfant naîtra bien protégé tout de suite, avec un taux d’Ac supérieur à celui de sa mère (effet concentrateur du placenta)(5). Un crime immunitaire ? Dans le même ordre d’idée, les mêmes « leaders » de la nonvaccination reprochent aux vaccins d’être « un crime immunitaire » sur des organismes immatures. L’allaitement permettrait, selon eux, de passer le cap de 2 ans et d’éviter ce « crime ». C’est totalement faux scientifiquement. Le nouveau-né a effectivement une moins bonne immunité, mais, nous l’avons vu, l’allaitement ne le protège que très partiellement. Par ailleurs, ce sont les contacts antigéniques multiples qui le font rapidement murir (accouchement par voie basse, probiote, contacts physiques avec l’entourage). Surtout, la conséquence de cette immaturité est que beaucoup de maladies sont fréquemment plus graves chez lui. Cela rend sa protection par la vaccination encore plus indispensable que chez le plus grand enfant et ce, qu’il soit allaité ou non. Coqueluche, rougeole, méningites, maladies sévères à pneumocoque, grippe, etc. ont des formes plus sévères chez le tout petit. De plus, le pic de fréquence des méningites, des encéphalites et des infections invasives (méningocoque, Haemophilus influenzae, pneumocoque, rougeole), se situe avant un an et même plutôt entre 2 et 6 mois. C’est donc là qu’il a un besoin vital d’être réellement protégé. Cette moins bonne immunité impose seulement de lui faire parfois plus de doses de vaccin que chez le plus grand, et sans problème de tolérance. À titre d’exemple, le vaccin Haemophilus influenzae nécessite deux doses plus un rappel s’il est fait avant 1 an, une seule dose après 1 an ; mais c’est surtout dans la première année que le nourrisson a besoin d’être protégé. Le grand prématuré, qui n’a pas eu le bénéfice de l’apport d’anticorps dans les 2 derniers mois de grossesse, est encore plus fragile et plus immature. Les vaccins sont encore plus indispensables pour lui, allaitement ou pas. Il doit être vacciné en âge réel vers 6-8 semaines de vie oudès que possible et, parfois, il doit même recevoir une dose supplémentaire. Par ailleurs, en dehors de la vaccination contre la fièvre jaune (FJ), l’allaitement ne contre-indique aucun vaccin, même vivant (RotaVirus, ROR). Même si des antigènes vaccinaux passent dans le lait maternel, ils n’ont jamais provoqué d’accident. Pour la fièvre jaune, la balance risque/bénéfice est à discuter pour une mère obligée de partir en Afrique ou dans une partie de l’Amérique du sud (le Brésil est en pleine recrudescence) où l’allaitement est particulièrement important et le risque de fièvre jaune majeur. La recommandation est d’arrêter temporairement l’allaitement dans les 15 jours suivant la vaccination. Il convient bien sûr de stimuler l’allaitement durant ce laps de temps, en tirant le lait et en le jetant, puis de reprendre l’allaitement par la suite (s’il ne s’est pas arrêté malheureusement entretemps). Le vaccin étant aussi contre-indiqué pendant la grossesse, l’idéal ici serait de vacciner la mère susceptible de partir en zone à risque avant la grossesse, afin de la protéger jusqu’au-delà de son allaitement : une seule dose suffit à vie. Conclusion L’allaitement ne peut en aucun cas remplacer la vaccination. Faire croire cela à des parents, c’est mettre leur enfant en danger. Un tel message engage la responsabilité morale, déontologique et scientifique de celui qui l’avance. À notre avis, une responsabilité pénale devrait aussi être engagée. L’allaitement et la vaccination sont tout à fait complémentaires et synergiques pour protéger l’enfant de moins de 2 ans. « Le sein et les vaccins, c’est plus malin » est aussi pertinent que « les antibiotiques, c’est pas automatique ».

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