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Psychologie

Publié le 15 mai 2025Lecture 12 min

Dépister les troubles psychiques du post-partum

Laura Bourgault, d’après la communication du Dr Ludivine Guérin, pédopsychiatre au CHU de Toulouse, hôpital Paule de Viguier
Dépister les troubles psychiques du post-partum

En pratique, comment repérer et diagnostiquer les troubles psychiques survenant dans la période du post partum ?

En périnatalité, deux cas de figures peuvent se présenter dans le champ des troubles psychiques : Une décompensation d’une pathologie psychiatrique préexistante, des maladies très fréquentes par exemple dans le cas des troubles bipolaires Les crises dans les troubles de personnalité déclenchée par la maternité, des phénomènes moins connus et plus complexes. Sans compter que la périnatalité constitue un facteur de risque en soi concernant les troubles anxio-dépressifs. Ces situations posent aussi la question des facteurs protecteurs pour le bébé dans les cas de psychoses et d’addictions maternelles. En l’absence d’antécédents, les troubles psychiques touchent 20 à 25% des jeunes parents, femmes et hommes, avec une majorité de troubles de l’humeur et de troubles anxieux, mais également des syndromes de stress post-traumatique et des troubles psychotiques aigus.  Quelles actions pour dépister ?  Pour dépister et agir, il faut s’y prendre dès la grossesse. C’est à ce moment qu’il faut créer une relation de confiance avec les futurs parents et dépister les facteurs de vulnérabilité repris dans le cadre de l’entretien prénatal précoce (EPP). Il s’agit aussi d’activer le réseau de soutien périnatal de première ligne, et ensuite savoir adresser aux spécialistes, un point très important du dépistage efficient.  Il existe à ce sujet 3 types de facteurs qui sont les mêmes que pour la vulnérabilité psychiatrique en général :  Les antécédents psychiatriques, les antécédents d’abus et de traumatismes dans l’enfance et dans les années précédant la grossesse Des facteurs liés au contexte obstétrical, avec notamment les vomissements incoercibles de la grossesse même si l’on n’y pense pas souvent. Les femmes exposées à des syndromes de stress post-traumatique postnataux sont plus nombreuses à avoir souffert de ces vomissements que celles ayant mal vécu leur accouchement Les facteurs culturels : accoucher dans un pays qui n’est pas le vôtre, loin de sa famille, de sa mère, dans une langue étrangère Quels freins au dépistage dans le post-partum ?  De manière générale, ce n’est pas si évident de poser la question des troubles psychiatriques. En réalisant une thèse avec une interne en psychiatrie, nous nous sommes rendus compte que les pédiatres, dans l’immense majorité des cas, n’osent pas poser aux parents la question de leur antécédents psychiatriques, ni les médecins généralistes qui . Et pour les futurs parents, pour les hommes en particulier, il est très compliqué de parler de leurs émotions négatives, même si cela est un peu en train de changer. Pour beaucoup, demander de l’aide est associé à l’idée de faiblesse, de honte, d’insécurité et d’un comportement évitant; ceci d’autant plus dans les contextes difficiles où la réponse parentale à cette demande d’aide était pire que de garder le silence.  Dans la période périnatale, la représentation de la maternité et la minimisation des symptômes de la lignée affective, l’écart entre l’idéalisation que la propre femme ou homme se fait d’être parent, et une réalité dépressogène : plus cet écart écran, plus le degré de dépression est important.  Pour les professionnels, le principal frein de dépistage aux troubles psychiques n’est pas le manque de formation ni de connaissance. Mais plutôt la peur de ne pas savoir quoi faire ni vers qui se tourner, notamment dans des régions fortement isolées. Quels signes d’alerte chez la patiente ?  Les principaux signes d’alerte de troubles psychiatriques relèvent : De troubles du sommeil très importants, non pas le fait de mal dormir du fait du rythme du bébé mais de pas dormir sans éprouver de signes de fatigue Toute rupture persistante avec l’état psychique antérieur Les phobies d’impulsion, soit la peur panique de passer à l’acte. Elles sont très fréquentes dans les troubles anxieux. Elles surviennent comme un petit film de scènes dramatiques qui défilent. Je pense que ces épisodes arrivent  quasiment à tous les parents quand ils se rendent compte de la responsabilité de ce que c’est d’être parent. Ces phobies d’impulsion sont souvent refoulées mais  peuvent parfois devenir envahissantes. Elles sont extrêmement fréquentes en cas de syndrome anxieux et dépressif. Elles peuvent altérer la relation au bébé, non pas parce que c’est un risque de passage à l’acte, mais parce que la maman / le papa n’ose plus toucher son bébé. Ces phobies sont à rechercher systématiquement quand une maman va mal, en demandant si elle a peur de faire mal à son bébé, ou si elle se voit le faire. Le fait de leur en parler les soulage énormément. On leur explique qu’elle ne va pas passer à l’acte, mais que c’est le signe qu’elle est très anxieuse ou déprimée et qu’il faut qu’elle soit orientée vers  un spécialiste. Notons qu’il n’y a pas de passage à l’acte dans les phobies d’impulsion. Mais évidemment cela suppose un diagnostic différentiel avec un risque de passage à l’acte impulsif, si la personnalité de la patiente s’avère aussi psychotique, fragile, impulsive, délirante, addictive, isolée, avec un bébé difficile qui pleure beaucoup Les idéations suicidaires ou hétéro-agressives sur les proches et le bébé. A ce sujet, nous avons appris à dépister les idées suicidaires maternelles. Mais a-t-on appris à demander à une maman ou à un papa s’il leur ai déjà arrivé de crier sur leur bébé d’un mois et demi ? Si elle l’a déjà serré un peu trop fort ou si elle a eu envie de le secouer ? Ces questions sont très difficiles à poser, même pour les pédopsychiatres. D’autres interrogations, toutes aussi sensibles, sont aussi à formuler pour investiguer le terrain psychique maternel et/ou paternel : est-ce que les relations parent(s)/bébé sont satisfaisantes, inadaptées, non ajustées, non congruentes avec ce qu’en disent les parents, quand on les observe. Existe-il déjà chez le bébé des symptômes fonctionnels, relationnels, moteurs ?  Dépistage dans le post-partum précoce Dans la période du post-partum précoce, précisément en suites de naissance, voici ce qu’il faut dépister avant tout dans les maternités : Les troubles du sommeil, en demandant à la femme si elle arrive à se renformir après la tétée du bébé. L’insomnie est le premier symptôme d’un trouble psychiatrique; mais c’est aussi  un important facteur de risque de déclenchement d’un trouble psychiatrique. Si en staff on a repéré qu’une femme ne dort pas au bout de 2 ou 3 jours, il faut l’ aider à dormir en s’occupant de son bébé quelques heures, en laissant le co-parent dormir avec elle, en prescrivant des médicaments si besoin, certains étant en effet compatibles avec l’allaitement Le repérage du baby-blues classique et sa distinction avec le baby-blues sévère à laquelle sont formées les sages-femmes. Trop long et trop intense, cet épisode constitue en effet un facteur de risque majeur de troubles psychiatriques, et signe même parfois le début de la dépression. Dans ce cas, l’aide doit être mise en place immédiatement sans attendre la sortie de la maternité, sans oublier de mobiliser le soutien familial, le réseau périnatal et les consultations psychologiques. Le tout en restant vigilant sur ces points lors de la consultation post-natale Les états de stress aigu traumatique chez les femmes qui ont vécu leur accouchement de manière traumatique, même si d’un point de vue de la sage-femme et de l’obstétricien, l’accouchement n’était pas considéré comme dystocique. Beaucoup d’accouchements traumatiques ont en effet été eutociques. Les symptômes relèvent alors d’état d’hébétude, de sidération psychique, avec parfois des états dissociatifs traumatiques, qui sont le sentiment de vivre un rêve éveillé, d’être à côté de sa vie, de voir la scène d’un point de vue extérieur. Ces femmes ont souvent besoin de raconter en boucle avec force détails leur accouchement. Il existe une hypermnésie dans le traumatisme. Il faut donc vérifier que cet état de stress aigu soit résolu en quelques heures ou quelques jours. Il s’agit surtout de valider le vécu émotionnel de la patiente, quels que soient les faits. Il est aussi conseillé de ne pas les adresser immédiatement à un psychiatre, mais de proposer de les revoir à distance. Il peut en effet y avoir de la colère et en  écoutant ces femmes, en les réécoutant, le soignant apaise. Mais ceci demande, bien évidemment, du temps  Focus sur le délire du post-partum Un délire du post-partum est souvent précédé de plusieurs nuits d’insomnie, une labilité émotionnelle, une subexcitation psychique de la patiente, anxieuse, posant des questions en boucle; c’est aussi  une patiente qui n’est pas rassurable, qui présente des épisodes d’angoisse, de confusion, de désorganisation psychique. Parfois quelques jours passent pendant que ces symptômes se mettent en place et évoluent. C’est à ce moment là  qu’il faut agir, sans banaliser. Il ne faut donc pas hésiter à garder les patientes plus longtemps, à les faire dormir, à demander à ce qu’un psychiatre vienne pour une évaluation en urgence. Ces situations à haut risque imposent de ne jamais laisser la maman seule avec son bébé dans la chambre.  Quelles difficultés précoces dans la relation parent/bébé ? Que dire par ailleurs des difficultés précoces dans la relation parent/bébé en cas de troubles psychiatriques maternels/parentaux ? Globalement, les parents ont des difficultés dans les soins primaires en maternité. Un point qui s’aggrave, ne s’améliore pas au fil des jours, malgré un soutien bienveillant et ajusté. Il existe vraiment une inquiétude, une incohérence dans ces soins primaires, ou une impulsivité dans les paroles, dans les gestes des parents. L’évaluation doit donc être pluridisciplinaire et la recherche de l’agressivité envers le bébé doit toujours être recherchée, en notant bien que rechercher cette impulsivité a un caractère très protecteur : cette démarche ne provoque jamais de passage à l’acte, de la même façon que de rechercher des idées suicidaires ne provoquent jamais de tentative de suicide.  En cas de doute sur le fait de faire un signalement, une information préoccupante, n’hésitez pas à appeler la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) pour leur demander conseil, en expliquant la situation de manière anonyme.  Dépister les troubles psychiques dans le post-partum plus tardif Impossible de faire le tour de toutes les nuances de la psychiatrie périnatale. Mais voici quelques exemples de questions que vous pouvez adresser à vos patientes, dans le post-partum plus tardif : La vie avec ce bébé, est-ce que c’est comme vous l’aviez imaginée ? Diriez-vous qu’être parent, c’est plus de stress que de plaisir ? Vous sentez-vous seule ? Nerveuse ? Manquez-vous de patience en ce moment ? Vous disputez-vous avec votre conjoint ? Y a-t-il des violences parfois ? Faîtes-vous encore des cauchemars de votre accouchement ? Revoyez-vous la scène ? Parfois les tentations reviennent après l’accouchement. Où en êtes-vous de votre consommation d’alcool, de cannabis, de cocaïne ? Avez-vous des problèmes alimentaires ? Et ce bébé, vous diriez qu’il plutôt facile ou bien au contraire c’est plutôt épuisant de s’en occuper ? Il pleure beaucoup ?  Dépression post-natale et EPSD On entend fréquemment que les soignants de première ligne peuvent prendre en charge cette dépression post-natale. Mais il faut bien s’accorder sur ce qu’est une dépression du post-partum. Il faut établir les distinctions entre les différents types de dépression post-natale. Cette pathologie est bien définie, potentiellement grave pour la mère, le bébé et la famille. Il existe une complexité de la nosographie psychiatrique : l’épisode dépressif caractérisé isolé diffère en effet d’un premier épisode dépressif dans la maladie bipolaire*, ou encore d’une dépression dans le contexte d’un trouble sous-jacent de personnalité en particulier borderline pouvant accentuer le risque de passage à l’acte impulsif sur soi-même ou le bébé. Le psychiatre s’empare alors de ce diagnostic différentiel.  Pour ce dépistage de première intention, le soignant peut se baser sur les 10 questions de l’EPDS et les questions de Whooley, recommandées par la NICE et l’OMS, validées dans l’UE, au RU, en Suisse mais encore en France. A savoir que la NICE est recommandée après une ou deux réponses positives aux questions de Whooley. Notons aussi que l’EPDS est validé chez les pères à un seuil plus bas, car les pères ne répondent à la question sur les pleurs.  Sur l’échelle d’EPSD : la valeur 11 est le seuil d’alerte pour le Collège National des sages-femmes (CNSF) , enclenchant soutien, orientation et suivi de la part du professionnel la valeur 13 est encore plus spécifique, surtout si l’on est après 4 à 6 SA du post-partum Une réponse autre que 0 à la question 10 : « Il m'est arrivé de penser à me faire du mal », doit entraîner une hospitalisation en urgence Psychothérapies, hospitalisations ? Une fois le dépistage établi, on propose : De la psychothérapie de soutien pour les formes légères, débutantes. Il s’agit de réévaluer, de rechercher des idées suicidaires ou agressives envers le bébé De la psychothérapie mère-bébé, si possible mère-père-bébé,  en traitement de première intention. Il peut s’agir de séances individuelles ou de thérapies de groupe. Un traitement antidépresseur pourra être prescrit (Sertraline et Paroxétine, compatibles avec l’allaitement) L’hospitalisation pour les formes graves (mélancoliques, délirantes, crises suicidaires, impulsivité…) au sein d’une unité spécialisée si possible, sinon en psychiatrie adulte, en organisant le maintien du lien mère-bébé dès que possible, médiatisé par les soignants  A noter : la psychiatrie périnatale se développe, et apparaît dans les textes depuis le Décret n° 2022-1263 du 28 septembre 2022 relatif aux conditions d'implantation de l'activité de psychiatrie. Il est mentionné que cette approche applique une collaboration étroite entre la psychiatrie de l’adulte et celle de l’enfant, l’obstétrique, les travailleurs du champ social et de la protection de l’enfance. Un vœu pieux pas évident à mettre en place sur le terrain et qui demande beaucoup de travail. Plusieurs niveaux de psychiatrie périnatale ont été définis, avec les unités d’hospitalisation parents-bébé en haut de la pyramide, et en bas les structures de prévention et  de soins non spécialisées et les PMI. Et au milieu, des structures spécialisées pédopsychiatriques, plus ambulatoires. Faut-il s’assurer que ces trois niveaux existent dans tous les territoires et que les patientes soient orientées au bon endroit. En conclusion : Sans antécédent particulier, les troubles psychiques affectent environ un quart  des jeunes parents Les principaux troubles relèvent de décompensations de vulnérabilités psychiatriques préexistantes ou des troubles de la personnalité associés à la maternité Il est nécessaire de partir à la recherche de ces troubles dès la grossesse, pour pouvoir agir le plus précocement possible et pouvoir induire un degré de confiance dans la relation de soin Les phobies d’impulsion sont très fréquentes dans le cadre de syndrome anxieux et dépressif. Elles doivent être recherchées et elles nécessitent une prise en charge spécialisée Les troubles du sommeil, et en particulier les insomnies, sont associés à un risque élevé de troubles psychiatriques dans le post-partum Le baby-blues sévère est à prendre en charge rapidement en suites de naissance et donc avant le retour à domicile  Les professionnels de la périnatalité mobilisent le soutien familial, le réseau périnatal et le suivi psychologique La vigilance sur ce risque de troubles psychiatriques doit être central dans la consultation post-natale Les états de stress aigu traumatique, survenant aussi lors d’accouchements eutociques, doivent être résolus dans les heures ou jours suivant la naissance. La place de l’écoute du soignant est primordiale chez les femmes concernées Le délire du post-partum peut mettre plusieurs jours à se mettre en place. Le séjour en suites de naissances doit être rallongé pour favoriser le sommeil des femmes, et prévoir l’évaluation d’un psychiatre. A aucun moment la maman ne sera laissée seule dans sa chambre avec son bébé Lors du séjour en maternité, en cas de troubles dans les soins primaires données à l’enfant, la recherche de l’agressivité envers le bébé doit toujours être recherchée La dépression du post-partum est à caractériser précisément, en la différenciant bien de l’épisode dépressif isolé *contre-indication à un traitement antidépresseur dans le cadre d’un épisode inaugural de bipolarité, indication qui majore le risque de virage maniaque ou de passage à l’acte 

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